Faut-il jouer la carte «Kabyle»?

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ChroniqueFace au racisme d’Etat d’Alger, l’autodétermination semble être l’ultime mécanisme permettant aux Kabyles de tout simplement jouir des mêmes droits que les autres citoyens algériens.

Le 22/07/2021 à 08h58

Durant la réunion du mouvement des non-alignés qui s’est tenue à New York le 13 et 14 juillet, Omar Hilale, Ambassadeur du Maroc à l’ONU, a répondu aux allégations mensongères d’Alger sur la situation au Sahara Marocain en décochant «la flèche du Parthe».

Dans une note adressée à la présidence du mouvement, l’ambassadeur marocain conclut son argumentaire aussi limpide que percutant par une inversion accusatoire dans les termes suivants: «le Ministre algérien, qui se dresse en fervent défenseur du droit à l’autodétermination, refuse ce même droit universel au peuple Kabyle, l’un des peuples les plus anciens d’Afrique, qui subit la plus longue occupation étrangère. L’autodétermination n’est pas un principe à la carte. C’est pourquoi le vaillant peuple Kabyle mérite, plus que tout autre, de jouir pleinement de son droit à l’autodétermination».

En réaffirmant le caractère universel du «droit à l’autodétermination des peuples» tel que consacré par le droit international, Omar Hilale confronte l’Etat algérien à ses propres contradictions.

Or, il se trouve que la question de l’autodétermination fait partie des concepts formellement admis par tout le monde, comme par exemple «l’Etat de droit», mais totalement creux du point de vue de leur contenu. En témoigne le récent bras de fer ayant opposé l’Union Européenne à la Hongrie concernant la conditionnalité de l’aide européenne liée au respect de l’Etat de droit. La réponse de Judit Varga, ministre hongroise de la Justice, fut univoque: «qu’est ce que l’Etat de droit»? Saint-Augustin et pardonnez l’anachronisme aurait répondu: «si personne ne me le demande, je le sais. Si je veux l’expliquer à qui me le demande, je ne le sais plus».

En effet, l’un des principaux fondements de la «sécurité juridique» est le principe de «clarté de la norme». Un concept juridique qui n’est pas clairement défini et admis comme tel par les différentes parties prenantes, perd de fait son caractère opératif. Tout au plus il peut exprimer un lointain idéal ou un principe moral à caractère symboliquement prescriptif.

Revenons donc au principe d’autodétermination des peuples si cher à nos voisins algériens.

Premièrement sur quoi porte concrètement l’autodétermination? Sur le statut juridique du territoire (indépendance, autonomie,…)? Sur la nature du système politique? Le droit international ne donne aucune réponse univoque. Les rares fois où ce principe fut appliqué ces vingt dernières années, ce fut suite à un coup de force militaire en totale violation du droit international. Je fais ici référence au Kosovo en 2008, suite à la guerre menée par l’OTAN en 1999, à l’Ossétie du Sud et à l’Abkhazie en 2008, et à la Crimée en 2014. Ce fut à chaque fois une autodétermination décrétée par le haut, en l’occurrence par le vainqueur.

Deuxièmement le Peuple. Voilà donc une question éminemment philosophique. Est-il assimilable à une ethnie? À une communauté religieuse? A une confédération tribale? Ou encore simplement aux habitants du dit territoire? Là encore, le silence semble de mise.

Deux questions épineuses auxquelles les généraux algériens ne semblent intellectuellement pas capables de répondre. En d’autres termes, pour ces derniers, l’autodétermination est bonne quand elle nous arrange, ou pour reprendre les propos de Nikita Khrouchtchev: «ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est négociable».

Côté marocain, la réponse de Omar Hilale prend tout son sens quand on l’inscrit dans le prolongement des propos tenues en 2015 par Omar Rabi, conseiller à la Mission diplomatique du Maroc à New York, qui réclamait de la communauté internationale d’accompagner le peuple kabyle dans son aspiration à accéder à ses droits légitimes, à l’autodétermination et à l’autonomie. La distinction très subtile opérée par le diplomate marocain entre «autodétermination» et «autonomie» n’est pas fortuite. Elle établit de manière claire que pour le Maroc, l’autodétermination ne concerne ni de près ni de loin la question de l’indépendance. Car peut-on parler d’autonomie quand il est question d’indépendance? Par contre, elle prend ici un caractère éminemment politique et légaliste. Dans ses propos, Omar Rabi contextualise sa requête en dénonçant les discriminations systématisées dont sont victimes les Kabyles, les violations généralisées et les privations de leurs droits les plus élémentaires. Autrement dit, face au racisme d’Etat d’Alger, l’autodétermination semble être l’ultime mécanisme permettant aux Kabyles de tout simplement jouir des mêmes droits que les autres citoyens algériens.

Quant au sens que la diplomatie marocaine donne ici à «peuple», il est clairement spécifié par le caractère «autochtone» des Kabyles, renvoyant indirectement à leur légitimé historique de tout simplement être traités comme des citoyens de pleins droit.

Or, en s’obstinant dans une démarche ethno-différencialiste dans son rapport à ses propres citoyens, l’Etat algérien sème depuis des années les germes d’une balkanisation qui, pour l’instant, demeure latente, mais qui pourrait s’activer à tout moment. Car la question «Kabyle» ne doit aucunement occulter une pluralité d’autres foyers de tensions, comme par exemple une partie du sud algérien revendiqué par les Touaregs dans le cadre de l’Azawad. Ou encore les tensions à Ghardaïa et plus généralement dans la région du Mzab, où la composante amazighe d’obédience Ibadite est persécutée par les populations arabophones, avec la complicité des autorités algériennes.

Revenons pour conclure au Maroc. En remettant sur la table la question «Kabyle», le Maroc semble franchir à juste titre un nouveau palier dans le cadre de sa nouvelle doctrine diplomatique. Ayant compris qu’en géopolitique, il ne suffit pas d’avoir raison pour avoir gain de cause, le Maroc adopte désormais, quand il le faut, une démarche offensive en confrontant ses adversaires à leurs propres contradictions, sapant ainsi la légitimité factice de leur argumentaire.

D’autant plus qu’au Maroc, nos citoyens dans nos Provinces du Sud jouissent de tous leurs droits pleins et entiers, y compris culturels, ces derniers étant sanctuarisés par la constitution de 2011. Quant à l’autonomie de ces provinces, loin de nous être imposée, elle est au contraire souhaitée et initiée par le Maroc sous la direction de Sa Majesté le Roi.

De même, fort de sa profondeur continentale retrouvée depuis 2016 avec le retour à l’Union Africaine, de sa profondeur stratégique acquise suite à la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, et avant tout de la légitimité de sa cause, le Maroc entend désormais s’affirmer comme un «sujet» géopolitique majeur dans la région, au moment même où nos voisins du nord avec la complicité du voisin de l’Est, entendent nous cantonner dans le statut d’«Objet» géopolitique. 

Par Rachid Achachi
Le 22/07/2021 à 08h58