La guerre de demain se dessine aujourd’hui…

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ChroniqueQu’il s’agisse de la récente guerre arméno-azerbaïdjanaise ou du conflit qui se déroule actuellement en Ukraine, les bouleversements en termes de stratégie et de doctrine militaire n’ont pas laissé indifférents les analystes militaires et les états-majors.

Le 13/10/2022 à 11h21

La généralisation des drones sur les champs de bataille est désormais actée comme vitale. Quant à l’artillerie lourde, souvent jugée comme relevant d’une autre époque, elle retrouve une seconde jeunesse dans le cadre de guerres qui prennent une forme de plus en plus positionnelle.

Ces diverses mutations nous amènent à repenser le concept même de supériorité aérienne, autant sur le plan opérationnel qu’économique.

Dans cette chronique, nous nous limiterons à la première dimension, celle de la supériorité aérienne.

Celle-ci ne se décrète pas. Elle est rendue possible de manière contextuelle par plusieurs facteurs. Nous n’en aborderons que quelques uns.

Premièrement, le gap technologique entre les capacités techniques (furtivité, vitesse, altitude de vol, contre-mesures, brouillage électronique, etc.) de l’aviation militaire (chasseurs, bombardiers, etc.) du pays qui attaque et le niveau technologique de la défense anti-aérienne du pays attaqué (radars, missiles à courte, moyenne et longue portée, système de guidage, etc.).

Deuxièmement, la capacité de projection militaire, notamment quand le conflit se déroule loin de ses frontières. A cet effet, une armée doit posséder soit des bases aériennes à proximité, avec tous les aspects relatifs à la protection desdites bases, mais aussi à leur ravitaillement (kérosène, missiles, munitions, pièces détachées, ateliers de réparation, etc.), soit des porte-avions, dont la mobilité permet d’obtenir une concentration de puissance de feu à quasiment n’importe quel endroit du globe. Rappelons qu’un porte-avion est toujours accompagné par une armada navale (destroyers, navires anti-mines, etc.).

Qu’il s’agisse du premier ou du deuxième facteur, ça demeure l’apanage de quelques grandes puissances militaires et économiques. Les autres devront se contenter de mener des conflits locaux et frontaliers, avec peu ou quasiment aucune profondeur stratégique.

Cependant, le développement et la démocratisation récentes des drones changent actuellement les règles du jeu.

Commençons par le détournement des drones commerciaux civils en vue d’un usage militaire. Leurs prix se situent généralement entre 500 et quelques milliers de dollars pour les plus performants, mais leur impact sur le champ de bataille est tout simplement redoutable. Ces derniers jouent un rôle fondamental dans le renseignement et la collecte de données en temps réel sur les positions et les mouvements de l’ennemi. Ils permettent d’assister l’artillerie à travers une correction en temps réel de la trajectoire de tir. De même, ils permettent de harceler l’ennemi 24h/24 à travers des lâchers de projectiles improvisés ou non, comme des grenades ou autres explosifs légers.

Certes, il est possible de les neutraliser avec une DCA à courte portée. Mais si pour neutraliser un drone à 1.000 $, il faille lancer un missile à 10.000 $, l’équation économique devient intenable pour une petite armée dans le cas d’un conflit de longue durée. Ainsi, imaginez, si chaque petite unité militaire était équipée d’un drone, cela ferait des milliers de drones à abattre, et qui pourront être remplacés aisément.

Deuxièmement, les drones militaires avec missiles embarqués. Ces derniers ont été rendus célèbres par la réussite du drone turc Bayraktar-TB2, qui s’est illustré par une efficacité redoutable durant le conflit dans le Haut-Karabakh et durant les premiers mois du conflit en Ukraine. Son grand avantage réside dans le rapport «coût-puissance de feu» très positif. Considéré par certains comme un avion de guerre «low-cost», il représente avant tout une arme efficiente d’attaque au sol, particulièrement redoutable contre les blindés et les systèmes de défense antiaériens mobiles ou fixes. De même, la formation de pilotes pour ces drones dure et coûte infiniment moins longtemps et moins chère qu’un pilote d’avion de chasse.

D’autant plus qu’étant installés des fois à plusieurs milliers de kilomètres des champs de bataille, les pilotes de drone ne sont aucunement exposés au danger, là où les pilotes d'avion de chasse constituent une denrée rare et difficilement remplaçable à court terme en cas de perte. Cependant, leur coût relativement élevé, autour de 5 millions de dollars, fait que leur usage ne peut être généralisé. D’autant plus qu’une adaptation technique adéquate de la DCA à courte distance permet de les neutraliser plus facilement. D’où le fait qu’on en n'entend plus parler en Ukraine depuis la fin du mois de mai.

Troisième catégorie, les drones-suicides. Ces derniers constituent, au fond, des missiles téléguidés «low-cost», mais peuvent provoquer d’importants dégâts au niveau des infrastructures, comme le démontrent les drones iraniens «Shahid-136» en Ukraine. Peu coûteux et très maniables, ceux-ci contribuent à accroître significativement la puissance de feu balistique à courte et moyenne portée d’une armée, notamment en permettant des frappes complémentaires ou correctrices, qui servent à parachever la destruction d’une cible partiellement ou pas totalement détruite par un missile de croisière infiniment plus coûteux.

Ainsi, la démocratisation économique et technologique des drones fait que, quand bien même un pays posséderait une supériorité aérienne à haute altitude, comme ce fut le cas des Etats-Unis en Serbie, en Irak ou en Afghanistan, cela devient désormais relativement inefficace face à une supériorité d’un nouveau genre, que je qualifie de «méso-aérienne». C'est-à-dire celle des opérations aériennes à très basse altitude, dont les drones deviennent désormais les maîtres. C’est en quelque sorte la supériorité aérienne du faible, mais qui, par-delà la dimension opérationnelle et tactique, va à terme provoquer des changements profonds au niveau stratégique et doctrinal, même au sein des pays les plus puissants techno-militairement.

Par conséquent, acquérir massivement ces technologies, mais aussi les systèmes qui permettent de s’en prémunir (brouillage électronique, etc.), devient de plus en plus l’impératif de toutes les armées désirant se moderniser. Mais il s’agira avant tout de ne pas assujettir ces technologies à des doctrines anachroniques, mais d’en faire l’occasion d’une révision profonde de la doctrine militaire en tant que telle.

Par Rachid Achachi
Le 13/10/2022 à 11h21