L’Allemagne, cet ennemi qui nous veut du bien…

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ChroniqueLa charité étant une vertu que les Etats ignorent, il est temps de se poser la question sur le rôle crucial que jouent les fondations allemandes dans la diffusion et le renforcement d’une doctrine politique allemande, qui va au-delà de la simple préservation des intérêts de Berlin.

Le 10/12/2021 à 09h01

Au mois de mars dernier et à la surprise de tous, le Maroc, par le biais du ministère des Affaires Etrangères et de Coopération, a décidé à travers un communiqué de suspendre toute forme de relation entre les départements ministériels et l’ambassade d’Allemagne au Maroc. Ce boycott institutionnel comprend également les fondations allemandes.

Et c’est là où une clarification semble aujourd’hui indispensable à un moment ou de part et d’autres de la Méditerranée, l’Allemagne autant que le Maroc semblent envoyer des signaux favorables à l’établissement de nouvelles relations, fondées pour reprendre les propos de Nasser Bourita sur la «clarté et la réciprocité».

Tentatives d’isoler le Maroc à l’international sur le dossier libyen, violent rejet de la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara… Il est vrai que les points de discordes entre les deux pays furent et demeurent autant nombreux que méconnus du grand public marocain, qui semblait voir dans l’Allemagne et ses fondations, un partenaire neutre idéologiquement, qui œuvre ni plus ni moins en vue d’aider la société civile marocaine à se renforcer, en finançant charitablement tel ou tel projet.

La charité étant une vertu que les Etats ignorent, il est temps de se poser la question sur le rôle crucial que jouent les fondations allemandes dans la diffusion et le renforcement d’une doctrine politique allemande, qui va au-delà de la simple préservation des intérêts de Berlin.

Ces fondations que l’on confond souvent avec des ONG, sont avant tout et du point de vue même de la loi allemande, des fondations «politiques», qui œuvrent à diffuser les valeurs démocratiques et à renforcer la société civile comme contre-pouvoir et fondement de la démocratie. De la démocratie tout court? Non. D’une conception allemande de la démocratie? Oui.

Chacune, qu’il s’agisse de la fondation Konrad-Adenauer-Stiftung, Heinrich-Böll-Stiftung, Friedrich-Ebert, Friedrich Naumann ou encore Fondation Hanns Seidel, est adossée à un parti politique allemand. Elles en sont un instrument de soft-power, autant en Allemagne que dans les pays émergents avoisinants. Leur financement vient majoritairement et directement des ministères de l’Intérieur et des Affaires étrangères allemands. Ces fondations en apparence sympathiques, doivent être par conséquent requalifiées d’agents d’influence au service d’une puissance étrangère.

Cette vision allemande de la politique diffusée par ces fondations en finançant des projets de réforme, s’articule autour de deux pivots, l’un ouvertement affiché, l’autre latent.

Le premier vise la dilution de la verticalité du pouvoir au profit d’une horizontalisation de ce dernier. L’équation est simple: ce que gagne la société civile, l’Etat le perd. Un effet de vase communicant qui, s’il est adéquat à la réalité germanique et à son histoire, semble prendre au Maroc la forme d’un travail de sape de la légitimité des institutions étatiques et de notre imaginaire politique et juridique.

Le deuxième, se fonde sur une vision ethnique pour ne pas dire ethno-raciale du monde. Un monde bien organisé du point de vue de l’imaginaire politique allemand, est un monde où les Etats sont homogènes ethno-culturellement. Ce prisme s’exprime premièrement dans la volonté de certains partis allemands à réinventer l’Europe à travers des euro-régions homogènes ethno-culturellement, qui font de fait voler en éclat l’unité territoriale de pays comme la France ou l’Espagne.

Mais il s’exprime aussi dans le soutien apporté par l’Etat allemand autant que par les fondations qui lui sont affiliées aux minorités ethniques et linguistiques dans différents pays du monde, et cela autant sur le terrain qu’au niveau des institutions internationales à travers des chartes et des conventions.

La société civile devient dans ce paradigme, non seulement un moyen de diluer l’Etat, mais également un champ où la fragmentation des imaginaires politiques nationaux sur une base ethnoculturelle, peut s’incarner et prendre forme, créant à terme un terrain favorable à l’activation de révolutions colorées comme dans les pays de l’Est de l’Europe, ou de nouveaux printemps, ou plutôt d’hivers arabes, au Sud et à l’Est de la Méditerranée.

Ainsi, Berlin autant que Rabat peuvent par la diplomatie et le dialogue, accorder leurs violons sur des questions régionales sensibles comme le dossier libyen. Mais une fois les relations rétablies, que devra-t-on faire des fondations allemandes? De ces fondations «politiques»? Autrement dit, de ces agents d’influences au service de Berlin?

Devra-t-on les interdire? Ou établir une surveillance plus étroite de leurs activités sur le sol marocain? Quoique l’on décide, comprendre leur finalité profonde et leur raison d’être par delà le vernis de la charité, est une condition première pour s’en prémunir.

Par Rachid Achachi
Le 10/12/2021 à 09h01