Sahara marocain: allégeance ou souveraineté?

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ChroniqueConclure que le Maroc n’était pas souverain sur le Sahara avant l’arrivée des Espagnols, revient à dire que les rois de France au Moyen Age n’exerçaient aucune souveraineté sur leur Royaume, du fait qu’ils n’étaient liés à leurs seigneurs et féodaux que par des actes d’allégeances juridiques. Un anachronisme du même acabit que celui de la CIJ.

Le 21/04/2022 à 12h00

Le 16 octobre 1975, la Cour Internationale de Justice rendait son avis consultatif concernant deux questions relatives au Sahara, suite à la demande de l’assemblée générale des Nations Unies.

L’objet de l’avis portait sur deux questions fondamentales:

- Le Sahara occidental était-il, au moment de la colonisation par l’Espagne, un territoire sans maître (terra nullis)?

- Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l’ensemble mauritanien?

A la première question la réponse fut claire. Non, le Sahara Occidental (du point de vue géographique) n’était pas une «terra nullis». Des tribus certes pour beaucoup nomades, y habitaient et étaient organisées politiquement et socialement sous une forme tribale, avec des chefs compétents et légitimes pour les représenter.

A la deuxième question, la réponse fut plus ambigüe. La CIJ fait ressortir deux éléments fondamentaux.

Le premier, c’est l’existence au moment de la colonisation espagnole, soit à partir de 1884, de liens juridiques d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines tribus vivant sur ce territoire.

Pour le deuxième, la Cour a conclu que les «éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara Occidental d’une part, et le Royaume du Maroc d’autre part».

Peut-être est-il temps de compléter «les éléments et renseignements portés» à la connaissance de cette cour, dont le jugement semble clairement être déformé par un anachronisme et par un prisme occidentaliste qu’il s’agit d’évacuer.

Car tandis que le Maroc met en avant dans son argumentaire le premier point, nos ennemis s’accrochent becs et ongles au second.

Revenons tout d’abord au concept d’«allégeance juridique» et de «souveraineté», évoqués dans le cadre de l’avis consultatif, et que la Cour semble distinguer de manière catégorique.

Dans le cadre moderne et occidental de l’Etat-Nation, la souveraineté se fonde sur deux piliers. La légitimité du pouvoir (Auctoritas en latin), et la capacité effective de l’exercer directement sur un territoire (Potestas). Si l’un des deux venait à manquer, la souveraineté est caduque.

La légitimité sans la puissance effective ne peut matérialiser la souveraineté. C’est le cas de l’autorité palestinienne qui, certes est légitime dans sa revendication des territoires occupés, mais qui n’a pas les facteurs de puissances pour les contrôler et avant tout pour les récupérer.

Une puissance exécrée par un Etat sur un autre territoire, sans en avoir la légitimité ne suffit également pas pour établir une souveraineté. Dans ce cas de figure on parlera d’occupation.

Cependant, appliquer cette compréhension occidentale et moderne de la «souveraineté», concernant une réalité qui, du point de vue politique est pré-moderne (ou traditionnelle), relève incontestablement de l’anachronisme.

Un anachronisme, que la CIJ a soigneusement éludé ou évité quant il fut question de définir une «terra nullis», mais qu’elle ne s’est pas interdite pour évacuer la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara. Mauvaise foi ou tropisme occidental? Seule la pertinence des conclusions importe.

Car concernant la «terra nullis», la Cour a clairement spécifié qu’elle se référait à la définition qui en était donnée à l’époque de l’occupation espagnole de ce territoire. Quant à la notion de «souveraineté», c’est la conception moderne et contemporaine qui fut appliquée à une réalité socio-historique qui ne s’y prête pas.

Car dans le Maroc du XIXe siècle, le mode d’organisation politique n’était pas celui de l’Etat-Nation, mais celui de l’empire. D’un empire millénaire, dont les premières grandes dynasties fondatrices (Almoravides et Almohades) puisent leurs origines dans ce même Sahara, qui de ce point de vue constitue le berceau de l’«étaticité» marocaine. L’étaticité étant un concept inventé par le sociologue et politologue allemand Juan Linz, pour désigner la dimension évolutive et organique de la construction d’un Etat.

Dans ce Maroc traditionnel, la séparation entre «allégeance juridique» et «souveraineté» est une vue de l’esprit. Car contrairement au monde occidental médiéval où une distinction claire et nette était opérée entre la souveraineté temporelle du Prince (Imperium) et la souveraineté spirituelle de la Papauté (Ecclésia), dans l’empire marocain, l’acte d’allégeance au Sultan exprimait cette double dimension, temporelle et spirituelle. Puisque le Sultan était en même temps l’Emir des croyants.

Dans ce paradigme impérial musulman, la dimension temporelle du pouvoir n’était que très rarement exercée directement. Notamment en raison de l’immensité des espaces constituant l’empire, mais également en raison de la très forte subsidiarité de cette structure politique. Ainsi, dans les marches de l’empire comme dans le cas du Sahara, la souveraineté du Sultan s’exprimait spirituellement par, entre autres, l’évocation de son nom dans les mosquées lors des prêches et des «dou’aa», juridiquement à travers des arbitrages entre tribus rivales, fiscalement, économiquement par l’usage de sa monnaie et militairement lors des «Harkas» ou «Jihads» décrétés contre les occupants portugais, puis espagnols. Pour ce faire, il n’avait nullement besoin d’avoir forcément un Caïd ou un représentant dans chaque douar, tribu ou village. L’acte d’allégeance contenait implicitement toutes ces dimensions.

Ainsi, la souveraineté de ce point de vue traditionnel n’était pas différente de l’acte d’allégeance, mais elle en était le prolongement naturel.

Par conséquent, conclure que le Maroc n’était pas souverain sur le Sahara avant l’arrivée des Espagnols, reviendrait à dire que les rois de France au Moyen Age n’exerçaient aucune souveraineté sur leur Royaume, du fait qu’ils n’étaient liés à leurs seigneurs et féodaux que par des actes d’allégeances juridiques. Cet anachronisme est du même acabit que celui de la CIJ.

Pour conclure, cette recontextualisation historique et anthropologique aboutit à plusieurs nouvelles conclusions que la CIJ aurait dû faire d’elle-même si elle avait scrupuleusement respecté le contexte socio-historique du Sahara.

Premièrement, l’existence de liens juridiques d’allégeance entre les tribus du Sahara et le Sultan du Maroc, exprime une modalité de souveraineté propre au contexte socio-historique de l’époque.

Deuxièmement, la souveraineté étant établie et ayant désigné ce territoire comme n’étant pas une «terra nullis», l’occupation espagnole du Sahara à partir de 1884 ne peut aucunement être désignée comme un protectorat négocié avec les chefs locaux, mais comme une occupation d’un territoire appartement à l’empire du Maroc. Car si protectorat il devait y avoir, il devait être négocié avec le Sultan qui est souverain sur ces territoires et non avec les chefs locaux qui n’ont en pas les prérogatives.

Par conséquent, il ne pouvait aucunement être question d’un quelconque référendum ou autodétermination, mais d’une restitution pure et simple au Maroc de ce territoire occupé illégalement par les Espagnols.

Et contrairement à l’avis de la CIJ, le plan marocain d’autonomie, proposé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, synthétise et rend contemporaines toutes ces spécificités historiques, sociologiques et politiques, en accordant une autonomie au Sahara en tant qu’ancienne marche de l’empire, dans le cadre d’une unité territoriale inébranlable en tant que champ d’expression d’une souveraineté pleine et entière du Maroc. 

Par Rachid Achachi
Le 21/04/2022 à 12h00