“Excuseur’’, un métier d’avenir

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ChroniqueJe suggère de créer un métier nouveau: “excuseur officiel’’.

Le 21/03/2018 à 12h00

Quand nous étions lycéens, vous vous en souvenez, la question revenait souvent sur le tapis: vers quel métier fallait-il s’orienter? Chaque année avait sa mode. Une fois, c’était la biologie: il fallait faire “bio’’, même après un bac C. Douze mois plus tard, “bio’’ était out, c'était l’informatique qui était en vogue. Bip bip! Et puis les computers se fanaient et il fallait être le dernier des ploucs pour ne pas faire architecture. Vive Le Corbu! Et ainsi de suite…

Ce qui me frappe maintenant, c’est à quel point tout cela était convenu, innocent, banal comme les blés. Aujourd’hui que nous concourrons avec les robots, les Chinois et bientôt les Martiens, il nous faut trouver des niches que ces vilains n’habiteront pas de sitôt. Voici donc une suggestion que je fais à M. le Ministre du Travail. Qu’il soit PJDiste, Istiqlalien ou communiste (j’ai la flemme de chercher), je suis certain qu’il sera sensible au produit de mes cogitations nourries de quelques tasses de café bien corsé.

Voilà: je suggère de créer un métier nouveau: “excuseur officiel’’. En effet, je suis frap-pé de voir le nombre de trous béants, de palissades incongrues, de concerts de marteaux-piqueurs qui nous empoisonnent la vie, de Tanger à Lagouira. Bien sûr, on ne peut que se réjouir de voir les chantiers se multiplier dans notre beau pays mais tout de même, pense-t-on à notre petit confort quand on en lance un, parfois sous nos fenêtres? D’où ma suggestion: chaque nouveau contrat de construction devrait prévoir l’embauche de gens particulièrement polis et avenants qui, postés au bord du gouffre ou adossés à la palissade, se chargeraient de présenter au passant les excuses de l’entrepreneur et de la commune. Et s’ils pouvaient offrir un verre de thé ou un bol de bissara, ce serait fantastique. Combien Casa ou El Jadida seraient plus agréables à vivre si on était, tous les cent mètres, bercé par le babil de l’excuseur et réchauffé par sa purée de pois cassés?

Autre exemple: vous vous présentez dans une administration publique à une heure ouvrée mais, surprise! il n’y a pas un chat. Ou plutôt, il y a bien quelques matous endormis dans les coins mais pas un seul fonctionnaire, comme on l’a vu récemment à Marrakech dans cette vidéo qui a choqué même les plus cyniques. Eh bien, un excuseur officiel ferait merveille. Il accueillerait le citoyen et lui présenterait les excuses les plus plates de l’administration– ainsi qu’un bol de bissara.

L’ONCF disposerait, on s’en doute, d’une armée d’excuseurs. Ils seraient partout: dans les trains qui ne vont nulle part, dans ceux qui ne sont jamais partis, dans les gares, le long de la voie. Ils s’inclineraient gravement devant le voyageur au bord de la crise de nerfs et battraient leur coulpe en chœur. Mea culpa! Mea maxima culpa! Et un bol de…

Il y a, à Rabat, dans le Souissi, une rue très chic qui est sens interdit… dans les deux sens! (Les R’batis la connaissent bien.) Chaque fois que, par inadvertance, je me trouve pris au piège dans cette rue, je me dis que j’ai droit à des excuses de la Ville, de ses ingénieurs et de ses urbanistes. Mais rien. Que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie (car on est au Souissi).

Il y a beaucoup de Marocains qui ont cette qualité humaine qui consiste à arrondir les angles, à carrer le cercle, à rendre hyperbolique le plus rétif des rectangles. Eh bien, fai-sons de ces braves gens des excuseurs publics! Le citoyen se sentirait enfin respecté… et bien nourri.

Par Fouad Laroui
Le 21/03/2018 à 12h00