Jalil Bouderbala, notre Prix Nobel

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ChroniqueA quand un doctorat honoris causa de l’UM6P, une décoration et une rue à son nom du côté de la place Verdun?

Le 04/03/2020 à 11h01

L’autre jour, en marge d’un séminaire d’épistémologie à Munich, un chercheur russe m’a lancé, après avoir consulté la liste des participants:

– Vous êtes Marocain? Alors vous êtes un compatriote du grand Jalil Bouderbala?

A quoi j’ai répondu au féal de Poutine:

Da, da et plus que da: j’ai fait mes études dans le même lycée casablancais que Jalil!

Les yeux du général Dourakine se sont agrandis d’admiration, il m’a tapé sur l’épaule et m’a proposé illico d’aller ensemble boire un jus de houblon sur la Marienplatz.

Vous me dites (parce que vous êtes anglophone (bravo)) :

What the f… ? Who the hell… ? Mais qui est ce Jamil...

– Jalil.

– …ce Jalil dont je n’ai jamais entendu parler ?

Eh bien, il s’agit de physique quantique –attendez, les gars, ne fuyez pas! Plus précisément, il s’agit de ce moment magique où la folie quantique– «Si vous croyez la comprendre, c’est que vous n’y avez rien pigé», disait Feynman–, ce moment magique où le monde quantique (où il n’y a plus ni temps, ni espace, ni matière…), s’assagit et fait place au monde classique qui est le nôtre. Des centaines de chercheurs de très haut niveau, à commencer par Einstein, Niels Bohr, Heisenberg, etc., se sont cassé les dents sur ce problème, dit de décohérence.

Et c’est Jalil Bouderbala qui, au CNRS, a réussi à observer le passage du quantique à la physique classique avec une cavité tapissée de miroirs, capable de piéger pendant longtemps des photons, et une méthode d'observation qui ne les perturbe pas –ce qui est essentiel. Et miracle! il a vu la décohérence se produire sous ses yeux. Alléluia! Champagne, publication dans les meilleures revues scientifiques, admiration générale, médaille d’or du CNRS et pour finir, le Nobel.

Eh oui, c’est à cet ancien du lycée Lyautey de Casablanca qu’il est revenu de faire ce pas décisif dans la compréhension des mystères de la Nature.

(Maintenant que j’y pense, pourquoi n’y a-t-il pas de plaque portant le nom de Jalil Bouderbala sur le flanc du bâtiment H, à côté du monument aux morts? Je lance ici une pétition réclamant qu’on rende ainsi hommage à un ould Lyautey qui a fait honneur à son lycée –et tant qu’on y est à d’autres anciens comme Jean Reno, Driss Chraïbi (les deux), Abdelkebir Khatibi, Malek, Laïla Marrakchi, Gad El Maleh, etc., etc.)

Un p’tit gars du Maârif, qui achetait ses pépites place Verdun et ses jeans dans l’ancienne Médina… et c’est lui qui a battu les génies Einstein, Bohr et Heisenberg! Il y a de quoi se peindre en vert et rouge et s’exhiber, ivre de fierté, sur la place de la Concorde, non?

Vous me dites :

– Je ne te crois pas. Encore des craques, comme d’hab’.

Eh bien, vous vous trompez (comme d’hab’). Tout ce qui précède est rigoureusement vrai. À un détail près : notre prix Nobel ne s’appelle pas Jalil Bouderbala mais Serge Haroche.

Est-ce une raison pour ne pas monter en épingle les exploits de ce fils méritant de l’Empire Chérifien ? A quand un doctorat honoris causa de l’UM6P, une décoration et une rue à son nom du côté de la place Verdun?

Par Fouad Laroui
Le 04/03/2020 à 11h01