Le prêtre qui ne croyait pas en Dieu

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ChroniqueL’important, c'est l’élément humain.

Le 29/08/2018 à 11h01

Du temps que j'habitais en Angleterre, la presse publia un jour les résultats d’une enquête remarquable: elle révélait qu’un tiers des prêtres de l’Eglise anglicane ne croyaient pas en Dieu. Un tiers! Étonnant, non?

Ça avait l’air d’une blague. Ce n’en était pas une.

Lorsque je lus le titre de l’article, dans un petit café de Cambridge où j’avais mes habitudes, j'éclatai de rire, un rire sonore de doukkali à peine dégrossi qui m’attira les regards étonnés ou réprobateurs de la clientèle très BCBG qui communiait dans le rite du brunch dominical. Confus, je piquai du nez dans les pages crissantes du Daily Mail.

Toutefois, après lecture attentive de l’article, je ne riais plus. En fait, tout cela m’avait plongé dans un abîme de réflexion. Voici pourquoi: le journal avait interviewé certains de ces prêtres athées et leurs témoignages, loin d'être grotesques ou incohérents, étaient en fait très émouvants. En gros, ils se ramenaient à ceci:

– J’ai perdu la foi –ce sont les vicissitudes de la vie– mais je me sens toujours responsable de ma congrégation. Je continue d’être à son service. Il s’agit d’accompagner les malades, de consoler ceux qui ont perdu un être cher, de célébrer les mariages, d’enterrer les morts avec décorum et dignité. Après tout, la religion, n’est-ce pas, étymologiquement, ce qui lie les hommes? Les prêches et le dogme, c’est accessoire. L’important, c'est l'élément humain.

Oui, je ne riais plus, dans ce petit café de Cambridge. Cette histoire m’avait ouvert les yeux.

J’y ai souvent pensé par la suite. Aujourd'hui, j’ai plus de respect pour le prêtre qui ne croit pas en Dieu mais accompagne fidèlement ses ouailles, les soutient dans les moments difficiles, leur tient la main, que pour celui qui croit mais ne se sert de cette croyance que pour terroriser les pauvres gens avec le jugement dernier et les feux de la géhenne.

Et nous? En islam, il n’y a ni Église ni prêtres. Mais nous avons toutes sortes de gens (qui parfois ne s’autorisent que d’eux-mêmes) pour s’occuper de notre vie religieuse: fquihs, imams, prédicateurs, etc. Une enquête du genre que tint le Daily Mail autrefois en Angleterre est ici, et pour plusieurs raisons, impensable (ah! si Kalima ou Nichane existaient encore…) Nous ne pouvons donc pas savoir ce que tous ces gens ont dans la tête, nous ne pouvons pas éprouver la vigueur de leur foi et leur sincérité. Il ne nous reste alors qu’un seul critère pour les juger: dans leur comportement quotidien, dans leurs rapports avec leurs coreligionnaires, sont-ils de l'espèce pleine d’amour, de bienveillance et de miséricorde -–ou bien de celle, néfaste, qui fulmine des anathèmes, des injures et des menaces dans la fange anonyme de la Toile, sur les écrans de télévision ou du haut d’un minbar?

Les premiers seuls sont dignes de notre respect.

Quant aux autres, loin de parler au nom de Dieu, ils n’expriment que leur propre méchanceté…

Par Fouad Laroui
Le 29/08/2018 à 11h01