Pour un namasté marocain

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ChroniqueLe mot d’ordre: cessons de nous serrer la pince, arrêtons de nous baver dessus!

Le 01/04/2020 à 11h04

J’ai eu jadis, du côté de Khouribga, un collègue ingénieur qui était la crème des hommes: gentil, discret, il faisait son travail avec compétence et traitait les ouvriers avec respect et humanité. Vraiment, c’était un type bien. Mais avant de me demander son numéro de téléphone (au cas où il serait libre) pour caser votre cousine Eddaouia, il vous faut encore savoir une chose sur mon ancien collègue: il avait les mains moites.

Et ce n’était pas une petite buée matinale, un soupçon hydrique, une vapeur, non: c'était les grandes eaux, une flaque tiède blottie dans la paume de sa main. Il fallait s’essuyer longuement après lui avoir serré la louche. Chaque matin, en arrivant sur le chantier, je craignais de le voir sortir de son bureau ou de le rencontrer quelque part. Et ça ne ratait jamais: il surgissait de sous une dragline ou de derrière un terril, au moment où je m’y attendais le moins, et se précipitait sur moi, un bon sourire éclairant sa face, la main tendue, dégoulinante de sécrétions.

Après m'être discrètement essuyé la pogne, je me faisais toujours la même remarque: personne, vraiment personne, ne lui avait jamais dit qu’il avait un problème? Moi, je n’osais pas, nous n'étions pas intimes. Mais enfin, il avait eu des parents, des frères et sœurs, des cousins… Personne ne lui avait conseillé de saluer autrement qu’avec un handshake fangeux?

Je me souvenais aussi d’un mendiant qui passait à heure fixe à El Jadida dans la rue où nous habitions quand j’étais môme. J’étais assis sur le seuil, à lire Zembla ou la comtesse de Ségur. Il s’amenait, boitillant, et tendait la main en bredouillant un verset du Coran. Je montais lui chercher un morceau de sucre ou du pain. Et pour me récompenser, il m’affligeait, horreur et malédiction, un bisou baveux dont je me serais bien passé. Beurk.

Et je ne parle pas des tantes qui se précipitaient et s’enroulaient comme des poulpes les unes sur les autres à s’embrasser en hurlant ‘h’biba, h’bibti’ quand elles se rencontraient dans la rue… Tout cela était excessif. Surtout que lesdites tantes ne se gênaient pas pour dire pis que pendre les unes des autres une fois le dos tourné. A quoi rimait ce concours de postillons? C’est peut-être pour cela que le typhus et le choléra adoraient passer les vacances chez nous.

Le Covid-19 va changer beaucoup de choses chez nous. En particulier, j'espère qu’il va changer nos façons peu hygiéniques de nous saluer. Pour toujours.

Le mot d’ordre: cessons de nous serrer la pince, arrêtons de nous baver dessus!

Voici une possibilité: le namasté, ce geste si élégant par lequel les Indiens se saluent et se disent au revoir. On joint les mains comme pour ébaucher une prière, on s’incline légèrement, on sourit. Quoi de plus simple? Chiche!

Vous me dites: nous n’allons quand même pas imiter les Hindous! Ces gens-là adorent les vaches et ont pour Dieu un éléphant.

Bon, d’accord. Je propose alors une sorte de namasté bien de chez nous: vous posez la main sur votre poitrine, à hauteur du cœur, vous souriez et vous dites: salam! Simple, élégant, hygiénique. Vous me ferez plaisir dorénavant en me saluant comme cela –et pas autrement.

A moins que vous n’ayez une meilleure solution? Proposez-le, votre namasté marocain! La meilleure contribution sera récompensée par la fameuse et très convoitée médaille d’or du 360.ma.

Par Fouad Laroui
Le 01/04/2020 à 11h04