Salim, ou le pacemaker de la paix

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ChroniqueEn examinant la poitrine dénudée de Hans, Salim comprend d’où viennent ses réticences.

Le 30/10/2019 à 11h02

Celui qui a dit un jour que la réalité dépasse la fiction, je ne sais pas si c’est Cocteau ou al-Jâhid, mais il a dit vrai, le bougre. Je l’ai éprouvé samedi dernier à Leyde. (C’est ainsi qu’on désigne en français la ville hollandaise de Leiden.)

Donc, Leyde. C’est là que dans un Holyday Inn aux proportions hollywoodiennes se tenait une sorte de jamboree des Marocains des Pays-Bas en présence de leur ambassadeur, l'excellent Abdelouahab B. Discours et débats, networking, thé et petits gâteaux, remises de prix, selfies, etc., c’était une fête bon enfant et pour les Marocains l’occasion de voir des visages qui leur ressemblent –ça les change des Bataves.

Pendant le dîner, je me retrouve à côté d’un homme encore jeune, sympathique et souriant que je vous propose d’appeler Salim –si vous voulez son vrai nom et son adresse, je me ferai un plaisir de vous les donner, vu le métier utile qu’il pratique: cardiologue. Au cours du repas, Salim me raconte une anecdote tellement ébouriffante que je manque m'étouffer avec une corne de gazelle. Je défie n’importe quel écrivain ou scénariste d’inventer un truc pareil.

Salim exerce dans un hôpital du sud-est des Pays-Bas et sa spécialité est l’implantation de pacemakers dans la poitrine de patients atteints d’insuffisance cardiaque. Un jour arrive à l'hôpital un petit bonhomme au teint cireux dont le cœur a des ratés. Après les examens d’usage, des piqûres contre la dengue et le choléra (je brode un peu, n’ayant aucune notion de l’art du chirurgien), une désinfection à l’eau de Javel, on confie le pékin à l’ami Salim.

Là, le p’tit type tique.

– C’est vous qu’ v’s z-allez m’installer mon pacemaker? grommelle-t-il, l’œil torve.

– Tout à fait, répond notre Marocain placide.

– Y a pas un Blanc pour faire ça? continue l’autre.

Salim en a vu d’autres. Il hausse les épaules.

– Vous êtes en de bonnes mains, assure-t-il. J’ai les diplômes qu’il faut.

Le mauvais coucheur –appelons-le Hans– exige de voir le directeur de l’hôpital. Celui-ci arrive, écoute les doléances hanséatiques puis répond que Salim est le meilleur expert dans ce domaine et que c’est lui qui va se charger de l’opération. Fin de la discussion.

En examinant la poitrine dénudée de Hans, Salim comprend d’où viennent ses réticences. Sur sa poitrine, à hauteur de cœur, l’idiot s’est fait tatouer les trois lettres PVV qui forment le sigle du parti raciste anti-marocain de Geert Wilders. PVV… et là-dessous, un cœur abîmé, plein de haine, bat la chamade. Et c’est Salim, unique objet de son ressentiment, qui doit le réparer, ô ironie! Le cardiologue fait comme s’il n’avait rien vu. Il met en place le pacemaker, recoud le type, fait les contrôles qu’il faut et puis rentre chez lui. Et il oublie Hans.

Mais Hans, lui, ne l’oublie pas. Trois mois plus tard, il réapparaît dans l’hôpital, exige de voir “le Marocain“. Contacté par la réception, Salim descend voir de quoi il retourne. Et là Hans fait quelque chose d’assez incongru. Sans rien dire, il relève son pull, déboutonne sa chemise et montre du doigt l’endroit où s'étalaient autrefois les trois lettres PVV. Elles n’y sont plus, elles n’ont laissé qu’une vague trace vert foncé, quelque chose comme une moisissure.

Le raciste au pacemaker s’était fait détatouer.

Au Holiday Inn de Leyde, je n’en revenais pas. Quelle histoire! J’eus quand même la présence d’esprit de demander à Salim si je pouvais la divulguer dans les colonnes du 360.ma. Elle ressemble à un conte de Noël ou à un conte philosophique; il y a quelque part une morale, mais laquelle? Dites, amis lecteurs, dites!

En tout cas, oui vraiment, la réalité dépasse parfois la fiction.

Par Fouad Laroui
Le 30/10/2019 à 11h02