Une énigme marocaine

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ChroniqueEt voici l’inexplicable, le fantastique, le merveilleux– en un mot, le marocain: la lettre arriva à mon frère, à Khawarizmi.

Le 04/12/2019 à 10h57

Un jour, dans un avenir proche, les historiens se pencheront sur le Maroc des années 70 pour en écrire l’Histoire définitive. On ne pourra pas trop compter sur les Mémoires de ceux qui ont été aux manettes du pays en ce temps-là –vous vous souvenez du livre de cet ancien Premier ministre qui avait réussi l’exploit de ne rien dire en trois cents pages?

On ne pourra pas non plus compter sur les Archives officielles. A un mien ami (un poète) qui eut maille à partir avec les autorités d’alors et qui demanda crânement, il y a quelques années, à un ministre de l'intérieur où était son “dossier“, l’officiel répondit:

–Tu te crois en Allemagne de l’Est? La Stasi avait des archives détaillées –nous, on n’est pas des Allemands, on a l’khwa l’khawi (traduction approchée: “le vide intersidéral“).

Pour dire ce qu’était notre pays alors, il ne reste qu’une chose: que chacun de nous consigne dans un grand registre (je suis prêt à le fournir) le truc le plus étrange qui lui soit arrivé en ce temps-là. Peu importe que ça ait l’air insignifiant, futile, inconséquent: les historiens feront le tri.

Pour donner l’exemple, je propose cette anecdote dont je garantis l’authenticité –et d’ailleurs, la preuve matérielle en existe.

Pour des raisons qui n’ont qu’un intérêt limité, il se trouve que j'étais en classe terminale au lycée Lyautey de Casablanca à la fin des années 70 alors qu’en même temps mon frère faisait sa terminale au lycée Khawarizmi, dans la même ville. Un jour, ma mère m'écrivit une lettre et la posta à El Jadida, où elle habitait–et habite toujours. Elle prit bien soin de mettre mon nom et mon prénom sur l’enveloppe, avec en dessous: Lycée Lyautey, 260 boulevard Ziraoui, Casablanca. (Je peux montrer l’enveloppe à ceux qui ne croient que ce qu’ils voient.)

Et voici l’inexplicable, le fantastique, le merveilleux– en un mot, le marocain: la lettre arriva à mon frère, à Khawarizmi.

Alors? Hein? Ne me dites pas que vous n'êtes pas bouche bée.

Pour ceux qui nous lisent des îles Fidji et qui croient peut-être que Casablanca est un village habité par trois pelés et un tondu, d'où l’erreur bien excusable du facteur, je précise qu’il s’agit d’une ville immense, peuplée de millions de gens de tous âges et conditions, et qu’il est donc rigoureusement impossible que le facteur, ayant jeté un coup d’œil hâtif sur l’enveloppe, se soit dit:

–Ah oui, c’est pour ce jeune homme que je connais bien. Allons de ce pas la lui porter.

Non, l’explication est ailleurs. Mais où? Je dois avouer que je sèche, amis lecteurs. C’est une énigme plus difficile à résoudre que la fameuse question 6 de l’Olympiade de mathématiques de 1988. Personnellement, je ne crois pas aux miracles ni aux djinns. Il doit y avoir une explication rationnelle, probablement policière, mais je ne la vois pas.

C’est pourquoi je lance ici un concours: quiconque donnera l’explication de cette énigme recevra la médaille d’or du 360.ma– un vrai collector’s item. Allez-y, faites de votre mieux.

Et envoyez-moi vos anecdotes les plus surréalistes de cette époque tourmentée. Nous écrirons ensemble l’Histoire de notre pays.

Par Fouad Laroui
Le 04/12/2019 à 10h57