Algérie-Maroc: un accord pour l’indifférence mutuelle

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun. . DR

ChroniqueEt si nous oublions l’Algérie? Ce voisinage devient pathologique. Il faudrait qu’il se calme. On pourrait même innover dans la pratique diplomatique et signer un accord, non de coopération et de fraternité (c’est bidon), mais un accord pour l’oubli l’un de l’autre.

Le 22/05/2017 à 11h55

Et si nous oublions l’Algérie? Si, calmement, sereinement, on décidait de mettre «ce pays frère et néanmoins ennemi intime» dans une case, puis on fermerait la porte à double tour. On garantirait ainsi notre paix et la sienne. On le laisse là où il est, tranquille, fermé sur lui-même, puisque ses dirigeants se refusent obstinément à ouvrir les frontières et observer les lois minimales du bon voisinage. Car, ce qui se passe et qui est inquiétant, c’est que le Maroc ou du moins une grande partie du pays est obsédée par le voisin turbulent, entêté, créateur de mauvaises odeurs, jetant sur les tapis diplomatiques des peaux de banane et des boules puantes allant, comme s’est arrivé le 18 mai dernier à Saint-Vincent et les Grenadines dans les Caraïbes, à avoir recours à l’agression physique sur un diplomate marocain. La presse ne rate pas la moindre occasion de rapporter tout ce qui se dit ou se fait contre le Maroc ; il en est de même dans la presse marocaine à l’égard de l’Algérie. La tension est réelle de part et d’autre.

On a vu le cas de la journaliste algérienne aux Nations Unies, posant à l’ambassadeur du Maroc une question inadéquate sur des rumeurs à propos du Rif, on l’a vu avec la Franco-algérienne qui devait se présenter aux élections législatives françaises pour représenter les Français à l’étranger tout en soutenant les thèses des séparatistes financés par Alger, etc. Une petite guerre froide ou même tiède se profile de plus en plus à l’horizon. Les lobbys sont à l’œuvre faisant feu de tout bois y compris le plus pourri.

Ce voisinage devient pathologique. Il faudrait qu’il se calme. Il serait évidemment plus sain que ce pays riche et puissant par son capital humain se préoccupe davantage du bien-être de sa population et qu’il lui ouvre les portes de la prospérité, des investissements, de l’imagination, de l’échange et des débats constructifs et en finir avec les prétextes de plus en plus stupides afin de créer des problèmes de toutes sortes au Maroc qui, sans grandes ressources, avance, se développe et malgré des problèmes sérieux, malgré le chômage inquiétant des jeunes, malgré les inégalités sociales fait tout pour qu’il émerge sur le plan économique, démocratique, culturel et diplomatique. Il n’a pas besoin qu’on lui mette les bâtons dans les roues.

L’oubli serait pour le moment la meilleure thérapie. On pourrait même innover dans la pratique diplomatique et signer un accord, non de coopération et de fraternité (c’est bidon), mais un accord pour l’oubli l’un de l’autre.

Je vois très bien deux grands diplomates, l’un Algérien, l’autre Marocain, invités sur un terrain neutre, la Suisse ou l’Australie, s’asseoir autour d’une table et s’échanger les dossiers de l’accord de l’indifférence. Après les paraphes, ce serait le moment des salutations. Ça s’appellerait ainsi: «Accord pour l’indifférence mutuelle» suivi bien sûr par un long texte expliquant les bienfaits d’un tel accord et surtout l’engagement de ne pas le rendre caduc par des agressions verbales, physiques ou médiatiques. On déciderait une pause dans le déni, dans l’absurde, dans la méfiance et la malveillance. Nous opterions pour le schéma des «Bienveillants». Comme dans un divorce à l’amiable, on s’interdirait toute provocation, les coups bas et les trahisons.

Ce serait une bonne chose, en attendant que la génération du ressentiment, celle qui n’a cessé d’exploiter les retombées de la guerre de libération, celle qui n’a jamais quitté la tenue militaire et qui sait comment profiter de la manne pétrolière et gazière, celle qui maintient un chef d’Etat en état de «grande faiblesse», celle enfin qui a refusé toutes les mains tendues pour un règlement définitif de l’intégrité territoriale du Maroc, en attendant donc que cette génération disparaisse emportant avec elle les mauvais souvenirs d’un voisinage désastreux, nous proposerions cet accord bienveillant.

Car l’Algérie c’est une grande jeunesse. Un peuple jeune qui aspire à vivre en paix dans la justice et l’épanouissement des individus, de leur imaginaire, de leur potentialité pour un monde neuf, généreux, un monde ouvert, uni dans une solidarité fondamentale du Sud face au Nord avec la ferme décision de faire de l’union des pays du Maghreb une entité forte, solide, objective face à l’Europe et au monde. Les peuples algérien et marocain désirent qu’on les laisse se rencontrer et mieux se connaître et consolider une vieille amitié. Ils demandent que les frontières soient ouvertes et que la liberté soit le principe premier entre voisins. 

En attendant que ce peuple soit libéré de la puissante mainmise de l’armée sur son destin, pratiquons l’oubli et l’indifférence avec bienveillance et vigilance. Une expérience à tenter. Là, le Maroc aura innové dans l’alternative diplomatique.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 22/05/2017 à 11h55