Hypocrisie

Famille Ben Jelloun

ChroniqueJe me suis mis dans la tête de ces hommes que le corps de la femme effraie. J’ai imaginé leurs pensées, leur délire. Cela relève de l’hypocrisie et de l’intolérance. Ecoutez ce qu’ils pensent, ce qu’ils disent.

Le 12/08/2019 à 10h57

«Cachez cette chevelure, cachez ces épaules, cachez ces jambes, cachez ce corps que je ne saurais voir! Cachez cette femme qui marche si peu habillée, arrêtez-la, empêchez-la de passer devant mon regard. Ayez pitié d’un pauvre croyant qui a peur de la tentation venant compromettre sa vertu! Qu’elle se couvre de la tête aux pieds! Qu’elle s’éloigne de moi et des braves gens. C’est Satan qui l’a envoyée, c’est lui qui perturbe notre petite vie tranquille. Non seulement il faut la couvrir, mais ne faut-il pas la punir, ou du moins punir son père, son frère ou son époux?

Elles sont arrivées de loin, de Belgique, soi-disant pour faire du travail humanitaire. Travail humanitaire, mon œil! Mais je ne savais pas que «les Européennes font des travaux en tenue de baignade». Elles sont venues nous provoquer, créer la panique et le mal. Elles n’ont pas vu que nos femmes se voilent, que certaines portent une burqa noire qui ne laisse rien, absolument rien transparaître? Nos femmes sont droites, elles obéissent à la loi et à la morale, elles travaillent la tête couverte, elles circulent dans la rue toutes couvertes, même quand elles vont à la plage, elles se baignent toutes couvertes, habillées, préservées du regard concupiscent des voyous. Elles sortent de l’eau, leurs habits collent à leur peau et elles sont heureuses.

Ces touristes qui font soi-disant de l’humanitaire bénévolement donnent le mauvais exemple à nos filles. Qu’elles retournent chez elles provoquer leurs hommes. Nous, nous n’avons pas besoin d’elles; qu’elles restent chez elles et qu’elles cultivent leur jardin plein de vice.

Regardez nos administrations, nos rues, nos plages, les femmes sont pudiques. Elles respectent le désir (éventuel) des hommes. Elles ne vont pas le chercher, ni l’exciter. D’ailleurs celles qui ont eu le malheur de manquer de pudeur ont été punies par la loi et par Dieu. Nous sommes une société paisible, tolérante et aimante. Mais notre tolérance a des limites. Elle s’arrête face à ces jeunes femmes à moitié nues et qui, prétendent-elles, sont là pour faire de l’humanitaire.

Savez-vous que c’est ainsi que le malheur se produit? Il y a là une incitation au malheur. Oui, une provocation. L’homme n’est pas une statue de marbre, ni un objet en bois. Il a des sentiments, des désirs, des pulsions. Alors il ne faut pas le chercher. Je dis cela et je pense à ce qui est arrivé l’année dernière. Je compatis et je suis triste.

Alors, de grâce Mesdames les femmes dites libérées, restez chez vous, occupez-vous de vos hommes, de votre foyer, de vos enfants. Allez faire de l’humanitaire dans des pays qui en ont besoin. Et laissez nos pulsions tranquilles.»

Heureusement que d’autres hommes et femmes ont réagi contre cette vision de la femme, du corps de la femme. Par ailleurs des Marocains ont envoyé des centaines de bouquets de fleurs aux familles de ces jeunes femmes belges. Ils ont voulu dire au monde que le Maroc de l’intolérance et de la haine est minoritaire. Hier, des jeunes femmes toutes en short et sans foulard ont manifesté à Aïn Diab leur rejet de l’obscurantisme.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 12/08/2019 à 10h57