Ibn Taymiyya, l’ancêtre de Daech

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ChroniqueBenkirane devrait faire attention à ce qu’il dit et aux idéologies de mort prônées par son maître Ibn Taymiyya. Le chef du gouvernement devrait non seulement s’excuser d’avoir fait l’éloge du père de la pensée jihadiste, mais le dénoncer et se référer plutôt aux sages, aux philosophes des lumières.

Le 26/09/2016 à 11h00

Le jour où l’Ayatollah Khomeiny revint triomphalement en Iran, il fit une déclaration courte, mais d’une portée et gravité énormes: «L’islam sera politique ou ne sera pas !» Depuis ce jour funeste, le monde musulman est encombré de violence et de haine. Pas un seul pays musulman n’a été épargné par des attentats ou menacé dans ses structures.

Khomeiny venait d’ouvrir les vannes d’un grand fleuve en crue. Il savait ce qu’il disait et ce qui allait advenir. L’islam n’allait pas échapper aux intempéries causées par cette pensée qui avait un sens au temps où le Prophète se battait pour faire admettre la vérité de son message. Mais aujourd’hui où l’islam se répand au point d’inquiéter les autres religions, au moment où le monde a besoin de paix et de fraternité, voilà que de plus en plus d’hommes politiques prennent cette religion comme idéologie pour atteindre le pouvoir ou pour s’y maintenir. L’islam est devenu une échelle, un moyen, une technique. Sa spiritualité, ses valeurs humanistes ont été oubliées ou sacrifiées. On les invoque du bout des lèvres, par hypocrisie.

L’islam a été détourné ; des crimes ont été commis en son nom. L’image de cette religion a été froissée, meurtrie, jetée en pâture aux médias du monde qui ne se sont pas gênés de faire l’amalgame entre islam et terrorisme. A la peur de l’islam –islamophobie– s’est ajoutée la haine de l’islam. Tous les partis de droite et surtout d’extrême droite en Europe et dans l’Amérique de Trump ont utilisé cette peur et cette haine pour remporter des élections. Et ça marche ! Retirez au discours du Front national de Marine Le Pen les thèmes de l’islam et de l’immigration, il n’en restera pas grand-chose. Ces partis, eux aussi politisent l’islam et le diabolisent. Ne serait-ce que pour cette raison, les hommes politiques des pays musulmans devraient s’abstenir d’en faire de même et de laisser en paix l’islam en tant que religion, culture et morale. Plus que jamais, l’islam a besoin de respect et de considération. 

Ce n’est hélas pas le chemin que prend le PJD, le parti du gouvernement actuel. Dans un discours prononcé le 26 juillet 2016 à Agadir, M. Benkirane rappelle son attachement à la pensée et à l’idéologie d’un théologien du XIIIe siècle, Ibn Taymiyya (né à Harran en Turquie en 1263 et mort à Damas en 1328 en prison).

Je cite les paroles du chef du gouvernement: «Vous ne connaissez pas notre culture. Vous ne nous faites pas peur ni avec la prison ni avec la mort… Ibn Taymiyya… Ibn Taymiyya nous a appris à dire : mon paradis est dans ma poitrine, je l’emmène avec moi partout où je vais… ma mort est un martyr. Nous n’allons pas réfuter les savants de la Oumma. Nous nous réclamons d’Ibn Taymiyya…»

Le 26 juillet dernier à Agadir, Abdelilah Benkirane rendait hommage au théologien du XIIIe siècle, Ibn Taymiyya, se réclamant de sa pensée.

Qui était Ibn Taymiyya ? Pour aller vite, c’est lui qui a inspiré au XVIIIe siècle Mohamed Ibn Abdelawahab, celui qui a fait de l’islam une lecture littérale, étriquée, anachronique et dure. Depuis, le wahabisme est appliqué en Arabie Saoudite, au Qatar et inspire aussi les idées des Frères musulmans. C’est l’application de la charia sans réflexion, sans discussion comme si nous étions encore au VIIe siècle ou pire à l’époque de la Jahilya, avant l’arrivée de l’islam.

Ibn Taymiyya s’était opposé aux philosophes rationalistes qui prônaient une lecture intelligente, métaphorique et symbolique du Coran et des Hadiths. Il a rejeté Al Ghazali et Ibn Arabi qu’il considérait comme un mécréant. Il a été contre les Mu’tazilahs, contre Al Farabi, contre Ibn Sab’in et contre Avicenne. Il incitait les croyants au jihad et méprisait la mort. Son intolérance n’avait d’égale que sa soif de violence. Tout cela rappelle des choses horribles. N’est-ce pas le discours de Daech? L’incitation au jihad non pas dans le sens de l’effort sur soi, mais bien dans le sens du combat et de la guerre.

Le Maroc est menacé par Daech, il est la cible de la terreur et des idées de brutalité et de mort. M. le chef du gouvernement devrait faire attention à ce qu’il dit et aux idéologies de mort prônées par son maître Ibn Taymiyya. Mieux que tout, il devrait relire le discours historique de Sa Majesté du 20 août dernier, d’en peser les mots et la portée. Il devrait non seulement s’excuser d’avoir fait l’éloge du père de la pensée jihadiste, mais le dénoncer et se référer plutôt aux sages, aux philosophes des lumières. Sinon, il vulgarise et banalise l’obscurantisme, porte ouverte au terrorisme. Après tout, en se solidarisant avec le salafiste Hamad Kabbadj qui a insulté et diffamé une grande dame de la société civile, Aicha Ech Chenna, il est resté fidèle à lui-même, aux pensées dangereuses d’un Ibn Taymiyya.

Il faut que les électeurs sachent quelles sont les références de tel ou tel homme politique. Le Maroc a besoin de clarté, d’intelligence et de modernité. Ce n’est pas en citant Ibn Taymiyya qu’on fera de ce pays un Etat moderne, réellement démocratique et ouvert sur le monde.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 26/09/2016 à 11h00