Famille Ben Jelloun

ChroniqueLe président Macron se trompait. Les dirigeants algériens ont fait de cette guerre de libération un alibi inépuisable de culpabilisation et de rancœur. Ils ont décidé que jamais les relations entre les deux pays ne se normaliseront. C’est ainsi, c’est leur butin de guerre. Ils ne le lâcheront pas.

Le 22/03/2021 à 11h02

L’initiative prise par quelques Franco-marocains de demander à la France de reconnaître la marocanité des provinces du sud du Maroc est pleine de bon sens. Elle émane de la foi et de la raison. Sans jouer au pessimiste, je ne pense pas qu’elle aboutisse. Mais elle a le privilège d’exister et de parier sur la paix.

Sans décourager qui que ce soit, j’imagine mal Macron répondre positivement à une telle demande. Pourquoi? Parce que la guerre d’Algérie entre ce pays et la France n’est pas terminée. Le récent rapport élaboré par l’historien Benjamin Stora et remis au président Macron dit bien les difficultés à assainir les relations conflictuelles entre les deux pays depuis plus de soixante ans.

Les différents présidents français ont tous espéré apaiser la situation entre les deux pays. Mais aucun n’a réussi. Ce n’est pas parce qu’il a été maladroit ou incompétent. Pas du tout. Face à eux, il y a un mur, le même que les militaires algériens ont érigé face à l’ancien colonisateur. Cela relève de la névrose.

En même temps, le peuple ne suit pas ses dirigeants. On se souvient de l’accueil populaire réservé au président Jacques Chirac lors de sa visite officielle. Les cris de bienvenue étaient suivis de «Visas! Visas!». C’est tout dire. Et c’est pathétique.

Lorsqu'Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle, déclare lors de sa visite à Alger le 14 février 2017, que «la colonisation est un crime contre l’humanité», il pensait aller au-delà de ses prédécesseurs pour tourner la page d’une mémoire meurtrie et qui persiste malgré le temps et les nouvelles générations, n’ayant pas connu la guerre de libération. Cette déclaration a suscité des polémiques homériques en France. Depuis, Macron observe une grande prudence quand il parle de l’Algérie. Un sujet plus que délicat, d’autant plus qu’il n’a pas de sensibilité méditerranéenne et encore moins maghrébine.

Il se trompait. Les dirigeants algériens ont fait de cette guerre de libération un alibi inépuisable de culpabilisation et de rancœur. Ils ont décidé que jamais les relations entre les deux pays ne se normaliseront. C’est ainsi, c’est leur butin de guerre. Ils ne le lâcheront pas.

Si la France reconnaît à l’instar des Américains la marocanité du Sahara, ce sera la rupture totale avec l’Algérie, ce qu’elle ne pourra pas se permettre.

Un jour, peut-être, l’Union européenne, finira par reconnaître l’évidence et tournera le dos à l’Algérie qui maintient un conflit artificiel pour des objectifs non avouables. Mais, pour cela, il va falloir travailler beaucoup.

Notre ami Kamel Daoud vient de publier dans Le Quotidien d’Oran une tribune magnifique, courageuse et juste; il a choisi un titre provocateur «Je suis Marocain»: «Oui, je suis Marocain. Est-ce être traître? Etre un agent du Makhzen? Un harki à l’horizontalité maghrébine? Un contrebandier? Un haineux de soi? Non. C’est juste rappeler un lien, une histoire, un dû du temps de la guerre de libération, un sang et une proximité. Il faut le rappeler pour contrer ce curieux esprit anti-marocain dont font pain à la fois les islamistes, les populistes et les propagandes pour se nourrir et manger nos enfants».

Cet écrivain de talent, mérite estime et respect et dans une mesure qui ne dépend pas de moi, un passeport marocain.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 22/03/2021 à 11h02