Famille Ben Jelloun

ChroniqueSantiago Abascal, le chef du parti d’extrême-droite espagnole, vient d’avoir 24 députés dans le nouveau parlement. Il a proposé de construire un mur entre Sebta et Melilla et le reste du Maroc. Il faudrait plutôt ériger des murs virtuels contre la bêtise.

Le 29/04/2019 à 10h58

Santiago Abascal, le chef du parti d’extrême-droite espagnole, Vox, doit être content. Son parti vient d’avoir 24 députés dans le nouveau parlement. C’est la première fois depuis la fin du franquisme, que l’extrême-droite nationaliste et populiste entre dans l’arène politique espagnole. Abascal a fait une campagne s’inspirant du discours de Trump et du Brésilien Bolsonaro. C’est dans cet esprit qu’il a proposé de construire un mur entre les deux villes marocaines occupées par l’Espagne depuis plus de cinq siècles, Sebta et Melilla, et le reste du Maroc. Tout cela pour lutter, dit-il, contre l’immigration clandestine. Il aurait même suggéré que la construction du mur soit financée par notre pays!

La lutte contre cette immigration dramatique a sa solution en Afrique, pas dans cet espace problématique. L’Europe a tout intérêt à investir dans certains pays africains d’où partent ces milliers de désespérés, largement exploités par des gangs de mafia. Il est intolérable que des hommes et des femmes risquent leur vie en quittant des pays dont les richesses sont importantes comme le Nigéria ou le Gabon. L’Europe devrait négocier avec ces pays pour qu’ils révisent leur politique et donnent à la population travail et dignité. C’est une question de droit et de justice. L’Europe qui ne cesse de mettre en avant le respect des droits de l’homme devrait obliger ces Etats riches à lutter efficacement contre les réseaux mafieux et leur couper l’herbe sous le pieds en donnant du travail à ceux qui cherchent à émigrer à n’importe quel prix dans des conditions dramatiques.

Aujourd’hui commence la campagne électorale pour les élections au parlement européen. Des partis d’extrême-droite présentent des candidats alors qu’ils ne cessent pas de dire le plus grand mal de cette Europe et réclament à suivre l’exemple britannique. Le Brexit est devenu un cauchemar pour les Anglais. On ne sort pas de l’Europe aussi aisément. Cela a des conséquences et un prix. Pourtant on a entendu des candidats au parlement européen évoquer «le Frexit», tout en sachant que ce sera une catastrophe pour l’économie française.

La campagne se fait actuellement autour de cette malheureuse immigration clandestine ; elle se fait aussi autour de la peur et de la haine de l’islam. L’immigration et l’islam ont toujours été des thèmes qui ont réussi à la droite et à ses extrêmes. Ainsi, on risque, le 26 mai, d’avoir un parlement composé dans sa majorité d’anti-européens.

Pour revenir à cette lubie du mur, il faudrait peut-être s’informer sur les difficultés qu’a M. Trump avec son mur mexicain. Cette idée est stupide car elle ne résout pas le problème de l’immigration illégale. On a vu combien d’hommes et de femmes, parfois accompagnés d’enfants, sont prêts à n’importe quoi pour mettre les pieds sur le sol européen. Leur imagination est assez fertile. La faim et le besoin donnent des ailes pour sortir de tant de misère.

Le Maroc pourrait collaborer avec la Guardia Civil des deux villes occupées, comme il travaille avec la police espagnole pour lutter contre les mafias des passeurs ainsi que contre les bandes de terroristes qui n’ont pas renoncé à ruiner le Maroc.

Il faudrait plutôt ériger des murs virtuels contre la bêtise, contre le racisme, contre l’occupation coloniale de Sebta et Melilla. Un mur contre le populisme qui séduit ce parti extrémiste andalous et s’inspire de l’acharnement de Matteo Salvini, le ministre italien de l’Intérieur, contre les étrangers. Un mur contre la stupidité, contre l’intolérance, contre l’arrogance des nostalgiques du fascisme franquiste. Un mur qui ferait honte à ces manipulateurs de la haine et incitateurs au racisme.

Avoir 24 députés au parlement de notre voisin n’est pas négligeable. Le Maroc, plus que jamais, devrait rester vigilant.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 29/04/2019 à 10h58