L'éclairage de Adnan Debbarh. Secteur textile: l’histoire ne repasse pas les plats

Adnane Debbarh.

Adnane Debbarh. . Khalil Essalak / Le360

ChroniqueLe débat sur la relocalisation de certaines activités industrielles a été exacerbé lors de l’apparition de la pandémie de Covid-19 en Chine. L’arrêt temporaire des usines dans ce pays avait causé des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement de plusieurs produits, dont certains revêtent un caractère essentiel, notamment les médicaments.

Le 15/11/2021 à 16h45

Depuis déjà quelques années, on s’était rendu compte que la Chine connaissait un renchérissement de ses produits, suite à l’accroissement des coûts de la main d’œuvre, du coût de transport et des difficultés à s’adapter aux exigences environnementales des donneurs d’ordres.

Aujourd’hui dans certaines branches industrielles, les salaires chinois sont au même niveau que ceux de la Pologne. La relocalisation, qu’elle soit dictée par des considérations financières, sociales (se réapproprier les emplois), sécuritaires, de proximité ou environnementales, revêt désormais un caractère irréversible. Certes, il ne s’agit pas de tout relocaliser, on ne va pas et on ne peut pas se passer de la Chine, ni de réinstaller le tout dans les pays d’origine, mais de raisonner en termes d’ensembles régionaux proches.

Au Maroc, plusieurs analystes ont eu l’occasion d’attirer l’attention sur le fait que la tendance à la relocalisation de certaines activités impliquant l’industrie n’était pas un épiphénomène, elle entrait dans une nouvelle division internationale du travail. Le Maroc, au vu de son positionnement géographique, de sa proximité des marchés et de l’attractivité de ses territoires, se devait de se préparer à cette nouvelle donne.

La présence massive ces derniers mois de plusieurs donneurs d’ordre internationaux de produits textiles parmi nous est le premier test de notre capacité à répondre à une demande mondiale qui a changé géographiquement et qualitativement.

En sus de la proximité, le client aujourd’hui, et encore plus dans l’avenir, est à la recherche de produits finis, voire de collections et n’est nullement disposé à investir son temps à participer au processus de production. 

Qu’en est-il de l’offre marocaine?Depuis le début des années 90, les opérateurs du secteur textile ont privilégié un segment, l’assemblage, en négligeant les investissements dans l’amont: filature, tissage et finissage. La plupart des unités existantes dans ces branches ont fini par fermer. Est-ce par manque d’ambition industrielle de l’Etat et des opérateurs? Est-ce le fait d’un régime économique en douane qui rendait l’approvisionnement de l’extérieur plus incitatif ? Toujours est-il qu’au fil des années, l’offre du secteur a été réduite à la vente de minutes, à de minimes exceptions près. Le secteur textile s’est mis dans l’incapacité de fournir le produit fini.

D’aucuns diront que c’est déjà ça de sauvé, face à la féroce concurrence asiatique. Manque de peau, il y a un contre exemple: la Turquie qui a construit toute seule la filière, malgré la concurrence. Elle exporte aujourd’hui 20 milliards de dollars de textile, soit cinq fois les exportations marocaines dans le même secteur.

L’enjeu est de taille, car au-delà des 4 milliards d’exportations, il y a 190.000 emplois qui sont menacés à long terme, si nous ne sommes pas capables d’avoir une offre compatible aux cahiers de charges des donneurs d’ordre.

Avons-nous manqué d’anticipation, alors que le monde connaît des redistributions de cartes au niveau industriel?

Les mesures préconisées pour améliorer l’offre: promouvoir des marques locales comme gisements de créativité et le recours à des agrégateurs nationaux ne suffisent pas pour rattraper le temps perdu. Il faut mener une politique volontariste d’investissement public-privé dans l’amont, en s’adjoignant le savoir-faire chinois qui ne demande qu’à s’installer dans cette zone. Cela permettra de récupérer le temps perdu et de gagner en compétitivité. Croire qu’un surcroît de commandes va inciter d’éventuels agrégateurs marocains ou espagnols à investir dans l’amont risque de nous faire perdre beaucoup de temps au vu des financements requis.

Reste la créativité. Il fut un temps où nos artistes plasticiens étaient les meilleurs du monde arabe. Notre artisanat retravaillé fait des merveilles. Il faut y mettre les conditions nécessaires.

Les opérateurs du textile ont une association, l’AMITH, qui regorge de compétences, il leur appartient de saisir la gravité de la phase historique et de faire preuve d’esprit visionnaire en proposant des pistes et un plan d’action susceptibles de sauver leur secteur.

Par Adnan Debbarh
Le 15/11/2021 à 16h45