Des pachydermes et une fourmi

F. Pomel

ChroniqueQuand une minuscule fourmi parle d’énormes pachydermes, ça donne ce qui suit.

Le 01/07/2021 à 11h01

Hier, il m’est arrivé une bizarrerie bizarroïde sur Twitter.

Le réseau social dirigé depuis la Silicon Valley par le multimilliardaire Jack Dorsey s’est brusquement mis à me causer en une langue nordique que je n’ai jamais entendue -sauf un ou deux mots, peut-être, sur une plage d’Agadir, un jour d’été il y a fort longtemps-.

Tout seul, il s’est mis à gazouiller des sons gutturaux, des mots avec des lettres pas issues de l’alphabet latin, des o barrés…

Mais qu’est-ce que c’est que ce trip?

J’vais sur un autre réseau social, YouTube (je ne connais pas son fondateur, peut-être qu’il se dévoilera à ma connaissance de Marocaine le jour où nous aurons enfin un commentaire pas con en dessous d’un vieux clip d’anthologie).

Je mate un tutoriel, je clique là où il faut cliquer, tout en nageant sur Twitter au milieu des sons gutturaux de barbares nordiques.

Jack Dorsey, je ne soupçonnais même pas son existence avant la grosse diarrhée verbale qu’il l’a brusquement pris juste après avoir éjecté Donald Trump du réseau qu’il a fondé, en une série de tweets qui n’en finissaient pas, et certainement tapant sur son clavier tout en s’auto-maudissant de les avoir lui-même limités à 280 caractères.

Je me rends compte, effarée, que je ne peux pas changer la langue d’utilisation, la rubrique désignée sur le tuto de YouTube n’existant pas sur la version nordique. Désactivée. Inexistante.

Je vérifie la couleur de mes cheveux, shampooinés le matin même: non, je ne suis pas brutalement devenue blonde. Bien brune, et ébouriffée, comme d’hab’, merci.

Je m’énerve (normal).

Je lâche un ou deux jurons (suite logique).

Je me mets à pagayer frénétiquement à bord de mon drakkar, tout en prononçant à voix haute des mots aux sons gutturaux, en invoquant le dieu Thor, tout en me demandant si, parmi mes ancêtres Sales Crétins (j’y reviendrai, soyez patients), il n’y en a pas eu un, un jour parmi les siècles écoulés, qui a été choper sur l’Atlantique une Nordique pour lui faire des enfants sans son consentement et, grâce à une xénoglossie bienvenue d’une langue oubliée qui aura été présente dans mon ADN (Petit Robert pour xéno-truc-chouette, j’ai pas le temps de faire la prof, là), je saurais reconnaître ces mots qui viendraient donc du fin fond des âges, je pagaye frénétiquement accroupie dans mon drakkar, vous dis-je, et… pouf, voici que Twitter devient brusquement anglo-saxon.

Ouf, soulagement. Me voici enfin en territoire connu. Ben oui, puisque j’ai «fait» de l’anglais à l’école. Oui: «fait».

Je passe à autre chose. Je bosse, je musarde, j’écoute Dido, Jamiroquai.

Je reviens quelques instants plus tard à Twitter, par curiosité. Cata: le voilà encore qui me reparle «en blond».

Cette fois-ci, je ne m’énerve pas. Je tourne le dos au drakkar, je renonce à pagayer, les tutos ça sert à rien.

Un bug généralisé, peut-être?

Je clique sur l’onglet WhatsApp (autre réseau social, racheté par Mark -comment ça, vous ne connaissez pas Mark-Zuckerberg-de-Facebook-de-la-Silicon-Valley? Shame on you), et m’adresse à mes collègues sur le groupe où il y a une petite pastille avec marqué dessus Le360.

(Moi, voix d’hôtesse de l’air): Utilisateurs de Twitter: votre compte s'est-il automatiquement mis dans une langue nordique (à première vue, c'est une langue d'Europe du Nord), avec désactivation de l'option changer la langue? C'est général, ou c'est Jack Dorsey qui me fait une petite blague perso?

(Un collègue, une bête en éco, et il déchire sa race en finances):Toujours en français pour moi.

J’oublie ma voix d’hôtesse de l’air.

Je sers une réponse stupide que je n’ai pas envie de vous reproduire texto, dans laquelle je raconte que je me suis énervée, explique que je vais être patiente, m’énerve quand même un peu, précise que je ne suis pas blonde (?), décrète la fin de l’aparté, et remercie quand même mon collègue qui déchire sa race en finances.

Quoi?

Une blonde, c’est plutôt nordique, c’est joli, mais c’est stupide.

Une rousse, ça pue, c’est bien connu.

Et moi, je suis brune, et je ne compte pas pour des prunes (oui, je suis imberbe sous les aisselles, toujours choquée par ce plateau télé vu toute petite où Lio ne s’était pas épilée sous les bras, et les avait levés bien haut).

Oui, parce ça aussi c’est connu, les Portugais sont poilus.

Et les Noirs courent vite et ont le rythme dans la peau, et les Japonais sont hyper-propres et hyper-précis, et les Français savent y faire en cuisine et en amour.

Et voilà comment une petite fourmi marocaine a réussi à vous capturer pour vous mener jusqu’ici, en vous débitant une mésaventure bizarrement bizarroïde, en évoquant les noms de gros pachydermes américains, et en vous racontant sur la fin un chapelet de conneries.

PS. J’ai pu remettre Twitter en français, à l’écriture de ces lignes, et je vais tirer insolemment ma langue à l’œil de la caméra de ce laptop dans un instant, juste après le point que vous allez regarder, là.

Par Mouna Lahrech
Le 01/07/2021 à 11h01