Femme dirigeante dans société patriarcale: le casse-tête des Marocaines en entreprise

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueComment prôner des valeurs d’égalité des sexes et de parité dans l’entreprise quand ces mêmes valeurs ne sont pas respectées par la société, dans la vie de tous les jours? L’enjeu est de taille…

Le 09/06/2019 à 13h01

Selon le dernier rapport de l’Organisation internationale du Travail (OIT), la mixité au sommet de la hiérarchie améliorerait le rendement de l’entreprise. Chez nous, au Maroc, le débat se situe encore ailleurs…

Qu’apprend-on concrètement du rapport «Femmes d’affaires et femmes cadres: les arguments en faveur du changement»?

D’une part, que les bénéfices de la mixité sont loin d’être négligeables. Ainsi, près de trois entreprises interrogées sur quatre affirment avoir amélioré leurs résultats financiers et indiquent que leurs profits ont augmenté de 5 à 20 pour cent.

Par ailleurs, on note aussi chez ces mêmes entreprises, qui pratiquent la parité dans les postes de décision, une meilleure capacité à attirer et conserver les talents. Au programme, surcroît de créativité, d’innovation et d’ouverture d’esprit; meilleure réputation et aptitude à mieux jauger l’intérêt et la demande des consommateurs…

Toutefois, le plafond de verre qui empêche les femmes d’accéder au sommet de la hiérarchie est encore bien présent, de la même manière que la ségrégation professionnelle qui cantonne les femmes à certains secteurs comme les ressources humaines, l’administration, le marketing, les ventes… Aux hommes, en revanche, le développement, le contrôle de gestion, l’exploitation, bien plus stratégiques et permettant d’accéder à des fonctions de plus haut niveau.

Au Maroc, la mixité dans les postes de direction bute également sur un écueil de taille: la mentalité patriarcale. Etre bardée de diplômes et afficher des compétences longues comme un jour sans pain ne permettent toujours pas de venir à bout de certains codes sociaux à la peau dure.

Comment prôner des valeurs d’égalité des sexes et de parité dans l’entreprise quand ces mêmes valeurs ne sont pas respectées par la société dans la vie de tous les jours? L’enjeu est de taille…

Au quotidien, être une femme au Maroc implique certains comportements en société tant les rapports entre hommes et femmes affichent une certaine complexité et nécessitent beaucoup, beaucoup, vraiment beaucoup de psychologie. Et pour cause, nos relations sont régies par le poids étouffant des tabous, des interdits et du qu’en-dira-t-on. Difficile dans ces conditions de croire et d’appliquer en entreprise une mixité reposant sur des valeurs saines, notamment le respect de l’autre, quand l’espace public se veut le terrain de jeu de violences physiques et verbales quotidiennes à l’encontre des femmes.

Intégrer l’entreprise n’est pas compliqué en soi au Maroc pour une femme, ce qui l’est en revanche, c’est de se faire respecter en tant que femme, et de faire valoir ses compétences quand on en vient à occuper un poste à responsabilité et à encadrer… Des hommes.

Comment diriger des effectifs masculins quand l’éducation de la plupart n’intègre pas le fait qu’une femme puisse diriger? Comment être efficace au travail et garantir les bons résultats qu’on attend de nous quand une bonne partie de notre énergie productive est dépensée à changer, doucement et parfois sûrement, les mœurs?

Le challenge ne s’arrête pas à faire accepter à une équipe masculine un management féminin. Pour une femme occupant un poste à responsabilité, la difficulté est aussi de mise quand le boss s’avère être un homme. Il faut alors savoir se dédoubler, s’imposer pour se faire respecter tout en veillant à ne pas heurter son égo, en fermant les yeux par exemple quand celui-ci nous gratifie d’un «benti», alors que 10 ans à peine nous séparent.

Toutefois, il ne s’agit pas ici de blâmer les hommes sans pour autant se questionner sur nos propres comportements de femmes.

Beaucoup d’entre nous ont tendance à reproduire avec leur boss le même schéma relationnel qu’avec le conjoint qu’elles ont ou qu’elles aimeraient avoir. Certaines endossent ainsi le rôle de parfaite compagne/parfaite employée, encouragées par un patron qui gomme allègrement les frontières pourtant indispensables entre personnel et professionnel.

On trouve alors tout à fait normal, bien qu’on soit cadre sup’, de conforter son boss dans un rôle de mâle dominant chouchouté par son équipe de femmes.

Cette manière de faire, qui peut paraître terriblement cliché mais qui ne l’est pas, révèle surtout le besoin très fort chez nous, les femmes marocaines, de vouloir assurer à tous les niveaux, et en prime, en ménageant la chèvre et le chou.

Depuis toutes petites, on nous a appris qu’être une vraie femme, une femme respectable, mra 9adda, revient à savoir tout faire. Si la société dans laquelle on évolue ne favorise pas notre indépendance et notre autonomie, a contrario, il va de soi que l’on doit savoir tout assumer et assurer en prime.

On fait donc des études, on travaille, on se marie, on fait des enfants et on tente du mieux qu’on peut d’exceller dans tous ces domaines. C’est là que le bât blesse pour les ambitieuses qui briguent une carrière et veulent dans le même temps mener à bien leur vie personnelle.

Une fois le poste convoité obtenu, comment faire comprendre aux autres qu’on mérite ce poste, mais qu’on a aussi une vie à côté qui peut parfois s’avérer contraignante pendant les vacances scolaires, les poussées de fièvre du petit dernier, la rentrée des classes…

Sans oublier que si on occupe un poste de numéro Un au travail, à la maison, on doit virer sa casquette de leader pour composer en bon second avec un mari dont il (aussi) faut ménager l’égo.

Déchirées littéralement entre vie professionnelle et vie personnelle, on essaie alors de jongler entre ces deux mondes, minimiser l’impact de l’un sur l’autre, satisfaire les uns et les autres dans la course effrénée que l’on s’impose vers l’accomplissement de soi. Mais à quel prix?

Par Zineb Ibnouzahir
Le 09/06/2019 à 13h01