La bière de trop!

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ChroniqueGrosse erreur de jugement que de croire que ce que l’on fait dans la discrétion d’endroits privés, et dans le respect total de l’illégal mais toléré, peut être organisé au vu et au su de tous, de façon assumée. Au Maroc, on est beaucoup plus complexes et subtils que ça.

Le 07/08/2022 à 13h00

Il aura fallu que l’annonce soit faite il y a quelques semaines de la tenue à Casablanca de l’Oktoberfest, célèbre fête bavaroise de la bière, organisée en octobre prochain pour que les esprits s’enflamment et que l’indignation s’exprime à coups de hashtags et de pétitions.

Car en toute logique, quoi de plus anormal qu’une fête de la bière célébrée en plein pays musulman? La chose est à ce point énorme qu’on se demande ce qui a bien pu passer par la tête de l’organisateur: la chambre allemande de commerce et d’industrie au Maroc.

«Le Maroc est le pays de l’islam et l’émirat des croyants. Nous considérons que cette initiative est un acte haineux en contradiction avec les lois marocaines, les lois islamiques et les traditions musulmanes», peut-on lire dans une pétition qui cumule quelques 25.000 signatures de mécontents regroupés sous la bannière du «forum du renforcement de l’identité».

Pour calmer les esprits, l’organisateur a revu sa stratégie et adopté un profil bas, en commençant par faire disparaître des réseaux sociaux sa communication autour de l’évènement qui projetait d’être organisé sous un chapiteau à Bouskoura réunissant quelques trois cent personnes. Désormais, on parle d’un cadre privé, restreint, accessible uniquement aux membres de la chambre allemande de commerce, sans oublier de préciser que la nourriture, halal, sera elle aussi de la fête.

Maladresse? Provocation? A moins que l’organisateur de cette pâle version de l’authentique Oktoberfest munichoise n’ait péché par sa mauvaise lecture de la société marocaine, ô combien complexe à décrypter pour un œil non averti. C’est a priori ce qui semble le plus probable et on ne saurait lui en vouloir pour ce mauvais jugement, convenons-en.

Car après tout, si on se contente de lire les chiffres, en l’occurrence les quelques 103 millions de litres de bières ingurgités par les Marocains chaque année, tous les indicateurs sont au vert pour la tenue d’un tel évènement au Maroc. Et on ne parle pas ici des autres types d’alcools consommés sans modération et qui viennent s’ajouter à ce chiffre qui constitue tout autant une anomalie en terre musulmane que la tenue d’un Oktoberfest à Casablanca.

Grosse erreur de jugement que de croire que ce que l’on fait dans la discrétion d’endroits privés, et dans le respect total de l’illégal mais toléré, peut être organisé au vu et au su de tous de façon décomplexée et assumée. Au Maroc, on est beaucoup plus complexes et subtils que ça.

Peut-être aussi l’organisateur a-t-il surinterprété le terme de «tolérance» que l’on accole volontiers aux caractéristiques du Maroc? Bon, on peut comprendre que pris au pied de la lettre, comme ça de manière franche, ce mot-là fait rêver. Pas de jugements négatifs portés sur les différences des autres, une acceptation totale de ce qui n’est pas comme nous, une fusion harmonieuse des différentes composantes de la société… Oui, dit comme ça sur le papier, c’est top, ça sonne bien, ça nous plaît bien, on achète! Mais au vrai, sommes-nous tolérants pour autant? Oui, bien sûr on peut dire ça comme ça, mais avec des limites, beaucoup de limites. Disons qu’on tolère jusqu’à un certain point, sans toutefois verser dans l’intolérance.

Enfin, autre hypothèse pour expliquer cette lubie décidément bien naïve de la chambre allemande de commerce, peut-être a-t-elle voulu imiter l’exemple de la Palestine qui organise cette fête de la bière depuis 2005 et rencontre, il faut le dire un certain succès. Car non, contrairement à ce qui se dit et s’écrit, le Maroc n’a pas la scandaleuse palme d’être le premier pays arabo-musulman à organiser une Oktoberfest. Bien loin des trois cent personnes que visait ambitieusement notre chambre allemande de commerce, là-bas, en Palestine, on parle tout de même de quelques 15.000 amateurs de bière, toutes religions confondues, qui se rendent chaque année dans le village de Taybeh à cette occasion. Oui, ça fait crisser des dents, là-bas aussi, certains musulmans et juifs qui ont leur propre idée de leur religion, mais in fine, l’évènement est devenu célèbre pour… l’esprit de tolérance qu’il véhicule.

Mais chez nous, nous n’en sommes pas encore là. On a déjà du mal à intégrer que tous les Marocains ne sont pas, par définition, musulmans et arabes alors pour trinquer à la bière sous une tente à Bouskoura sous prétexte d’un festival plutôt que dans le confort d’un des restos avec vue sur golf, faudra repasser un peu plus tard. 

Par Zineb Ibnouzahir
Le 07/08/2022 à 13h00