La laideur de la peur

Zineb Ibnouzahir

Zineb Ibnouzahir . Achraf Akkar

ChroniqueDevant la peur de manquer, nous ne réagissons pas de la même manière. Encore faut-il avoir les moyens financiers de calmer ses angoisses en versant dans la démesure. C’est aussi dans ces moments-là que l’on se rend compte que nous ne sommes pas tous égaux devant la maladie et l’accès aux soins.

Le 15/03/2020 à 11h50

Alors que le monde s’affole et se referme sur lui-même, chaque pays se mettant à l’abri de ses frontières, plusieurs sentiments nous tenaillent, nous écartèlent, entre rationnel et irrationnel.

Face à une menace invisible, ce qui de fait la rend encore plus angoissante, on en vient à faire abstraction de toutes les valeurs dont on se veut habituellement défenseur et qui nous font d’ailleurs dire, souvent, que l’espèce humaine est définitivement la plus évoluée de toutes. Finis les beaux discours sur l’ouverture des frontières, la libre-circulation, la solidarité, la mixité… La peur de mourir fait naître, ou plutôt ressurgir en nous, les pires de nos travers.

Sous le coup de la peur, on s’agite, on court dans tous les sens, on se précipite dans les rayons des supermarchés au volant de nos caddies transformés en bolides pour les remplir jusqu’à écœurement de pâtes, de riz, de lentilles, de haricots blancs, de boites de conserves… On se pose des questions qu’on ne s’est ô grand jamais posées jusqu'ici: la date d’expiration indique juillet 2020, est-ce que c’est assez long? Est ce que trois caddies remplis à ras bord seront suffisants pour tenir? Mais combien de temps, au fait, faut-il tenir? Et à partir de quand dois-je considérer que l’état de siège commence? A partir de combien de paquets de lentilles restants devrais-je considérer que je mourrais bientôt de faim?

Des préoccupations de gens riches, somme toute, car devant la peur de manquer, nous ne réagissons pas de la même manière. Encore faut-il avoir les moyens financiers de calmer ses angoisses en versant dans la démesure. C’est aussi dans ces moments-là que l’on se rend compte à quel point nous ne sommes pas tous égaux devant la maladie et l’accès aux soins.

Puis, désemparés devant cette nourriture débordante dont on ne sait plus évaluer la quantité, car on perd tout repère, on se tourne vers Dieu, pour le solliciter encore une fois, essayer de négocier un délai supplémentaire, obtenir un privilège…

Dans leur foi, nombreux sont ceux qui cherchent un refuge, mais là aussi la laideur de la peur s’infiltre pour souiller les prières devenues complaintes.

«Que Dieu protège tous les musulmans!», une phrase qui revient comme un leitmotiv dans la bouche de nombreux concitoyens, comme si le reste de l’humanité pouvait bien crever la gueule ouverte (de préférence après nous avoir concocté un vaccin, cela va de soi).

Puis, pour se rassurer, on se compare aux autres en comptant les malades, les morts, les guéris. Un peu comme dans un jeu de société à échelle humaine… On observe aussi le comportement de nos voisins, sous le prisme des réseaux sociaux.

«Nous les Marocains ne réagirons jamais comme cela!», rétorquent ainsi certains en découvrant mi-effrayés, mi-goguenards, la frénésie qui accompagne l’achat de papier toilette dans les grandes surfaces en Occident, comme si l’incivisme et l’hystérie collective nous étaient des notions parfaitement étrangères.

Certains vont mêmes jusqu’à vanter notre hygiène impeccable, à nous autres les musulmans, en comparaison à ces pauvres occidentaux qui n’utilisent ni bidet ni douchette, et qui pensent encore que le PQ est efficace.

Et puis, bien entendu, la peur de l’autre, de l’étranger surtout, revient plus forte que jamais. La fermeture des frontières s’impose pour notre salut mais avec elle s’accroît, inexorablement, un nationalisme farouche contre lequel il sera très difficile de lutter.

Alors où chercher notre salut? Comment faire, nous autres Marocains, qui à coup sûr ne trouveront pas de remède contre ce virus, pour contrer à notre manière cette pandémie et ralentir sa course folle?

Plutôt que de chercher des réponses à ces questions dans les allées des supermarchés, ou en versant dans de vaines théories du complot, il est indispensable pour nous de renouer avec des valeurs que l’on déconsidère depuis bien trop longtemps, alors même qu’elles sont les fondements de la religion musulmane dont on se réclame: l’hygiène, le civisme, l’ordre et le respect des autres.

Une fois n’est pas coutume, plutôt que d’attendre Ramadan pour devenir un bon citoyen et un bon musulman, prenons les devants dès maintenant, et, pourquoi pas, prenons-y goût.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 15/03/2020 à 11h50