Sagesse marocaine et pensée soufie

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ChroniqueTant de gestes effectués au quotidien au Maroc témoignent des notions de respect et de tolérance inhérentes à notre histoire millénaire. Du baisemain que l’on pratique, au fait que l’on se courbe en guise de salutation, non pas en signe de soumission mais comme une marque du respect que l’on témoigne à l’autre.

Le 24/04/2022 à 16h11

Sous la grande verrière de la Mahqama du Pacha, quintessence de la beauté de l’artisanat marocain située en plein cœur du quartier historique des Habous à Casablanca, s’est tenu il y a quelques jours un débat comme on les aime.

Il était question ce soir-là de mettre en lumière les valeurs spirituelles et morales ainsi que leur rôle dans le partage de la culture de tolérance et du vivre ensemble. Un riche dialogue,organisé par la fondation Al Moultaqa, qui associe la pensée soufie à l’action solidaire et le dialogue civilisationnel, animé par des intervenants de qualité, aux profils aussi divers qu’étonnants, dont les parcours respectifs forcent le respect et sont à plus d’un titre source d’inspiration.

Parmi eux, Asma Lamrabet, médecin biologiste, écrivaine, titulaire de la chaire femmes et religions à la fondation EUROARABE de l’université de Grenade. Une femme comme il en faudrait plus, dont le travail de longue date de relecture des textes religieux à partir d’une perspective féministe, éthique et réformiste, suscite l'admiration.

Il y avait aussi Michel Thao Chan, spécialiste en biophysique clinique et en négociation internationale, qui a consacré sa carrière essentiellement aux domaines de la Santé. Mais ce sont les croyances de cet ancien professeur, chercheur, tour à tour directeur marketing ou financier, qui nous intéressent ici car l’homme, habitué du Maroc, est védantiste (le védantisme est une doctrine métaphysique du vedanta qui considère que Dieu est la cause immédiate de tous les changements, sans qu'il en soit jamais affecté), ordonné moine bouddhiste Bodhisattva, et enfin, soufiste adepte de la Tarika Boutchichiya.

Puis, personnage tout aussi inspirant, le Père Christophe Roucou, prêtre catholique qui a entrepris des études d’arabe et d’islamologie à Rome, qui a œuvré pendant de nombreuses années en France en tant que directeur du Service national des Relations avec l’Islam au sein de l’organisme de la Conférence des évêques de France et qui a été nommé depuis deux mois directeur des études de l’Institut œcuménique de théologie, Al Mowafaqa, à Rabat au Maroc.

Enfin, Said Bihi, président du conseil scientifique des oulémas de Hay Hassani et Mohamed Chtatou, professeur à l'Université internationale de Rabat, analyste politique sur la politique et la culture au Moyen-Orient, l'islamisme et le terrorisme religieux et spécialiste du soufisme et de l'islam politique dans la région MENA.

Pourquoi s’attarder sur les profils de ces intervenants? Parce que malgré leurs parcours différents, ils partagent une vision de la tolérance, de l’acceptation de l’autre à la lumière des textes religieux et ont démontré avec brio ce qui unit les hommes. Une nécessité à l’heure où politiques et médias de différents bords s’attèlent à diviser les communautés en fonction de leurs origines, leurs religions, au nom de la démocratie et sous couvert de certaines libertés.

Que l’on soit croyant, pratiquant, ou que l’on ne se reconnaisse dans aucun de ces deux cas de figure, importe peu. Car l’essentiel a-t-il été clamé d’une même voix, c’est la responsabilité des hommes à prendre soin de leur maison commune. En prônant le vivre-ensemble, on a ainsi insisté sur l’importance du respect des traditions des uns et des autres. Une définition qui contraste avec celle qui consiste à sacrifier les différences sur l’autel de la laïcité. «Nous ne sommes pas tous pareils mais nous sommes frères dans l’humanité», résume ce discours commun qui prône que la tolérance n’est rien si elle n’est pas associée au respect de l’autre et de ses différences.

Autre point important de ce débat, celui du changement qui repose sur cette interrogation: «comment changer le monde pour le rendre meilleur?». «On ne peut pas changer le monde, on peut se changer soi-même et le monde changera», est-il avancé par Michel Thao Chan, le moine soufi. Une vision qui rejoint celle du jihad, en tant que lutte contre nos désirs et notre égo afin de s’améliorer et de s’élever spirituellement.

On ne peut qu’être fier que ce type de débats soit organisé dans notre beau Maroc, cité plus d’une fois lors de cette rencontre comme une terre d’accueil de toutes les différences, où les notions de respect et de tolérance sont inhérentes à son histoire millénaire. Car tant de signes, de gestes, de petites choses effectuées au quotidien au Maroc témoignent de cela sans qu’on ne s’en rende plus compte. Du baisemain que l’on pratique, au fait que l’on se courbe en guise de salutation, non pas en signe de soumission mais comme une marque du respect que l’on témoigne à l’autre, relève l’assemblée. Du thé à la menthe sucré que l’on sert aux invités dans toutes les maisons marocaines, symbole de l’acceptation de l’autre, à la main qui sert de heurtoir sur les portes des maisons de la médina et qui n’est pas un symbole pour lutter contre le mauvais œil, contrairement à ce que l’on pourrait croire, mais correspond à une main tendue pour saluer et souhaiter la bienvenue à l’étranger, ou enfin, à ce fameux tapis qui trône dans les salons marocains, et qui symbolise, explique-t-on d’un point de vue anthropologique, le vivre-ensemble.

Au-delà des religions, au Maroc, les valeurs humanistes sont des traditions profondément enracinées dans l’inconscient collectif. Elles sont assurément la richesse de ce pays qui, pour avancer, s’améliorer, sans pour autant s’inscrire dans une course à la modernité version occidentale, devra tout miser sur l’éducation.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 24/04/2022 à 16h11