Non c’est non !

Le360

ChroniquePas étonnant qu’un film comme “Much Loved”, qui montre la réalité crue, telle qu’elle est, ait suscité un tel accès de violence. Et pourtant, l’émission de 2M est à mes yeux bien plus pornographique que les danses de Loubna Abidar ou la petite culotte de Jennifer Lopez.

Le 01/12/2016 à 12h57

A moins de vivre dans une grotte ou sur la lune, vous n’avez pas pu échapper au scandale qui vient d’éclabousser la chaîne 2M après une séance ubuesque de maquillage télévisé. Rappel des faits: le 25 novembre, journée de lutte contre les violences faites aux femmes, la présentatrice de l’émission «Sabahiyate» propose ni plus ni moins aux téléspectatrices d’apprendre à maquiller les bleus qu’elles auraient sur le visage suite aux coups portés sur elles. «C’est un sujet bien triste que nous abordons aujourd’hui», a-t-elle la naïveté de faire remarquer, dans un élan sidérant de lucidité. Voilà que le cobaye, une jeune femme au visage constellé de bleus, ferme les yeux et que notre présentatrice se lance dans un savant exposé. Pour les yeux au beurre noir, les lèvres pochées, les nez cassés, ne vous inquiétez pas mesdames, nous avons la recette. 

Tout simplement ahurissant ! J’ai vu et revu la séquence et j’ai encore du mal à y croire. C’est révoltant de bêtise, de passivité, de complaisance vis-à-vis d’un phénomène qui tue, tous les jours, dans le monde, des milliers de femmes. C’est aussi révélateur de phénomènes qui travaillent très profondément la société marocaine et au fond, le symptôme devrait moins nous inquiéter que la maladie. Car comme d’habitude dans le plus beau pays du monde on inculque au grand public la maxime de Tartuffe: «Le scandale du monde est ce qui fait l’offense et ce n’est pas pécher que pécher en silence.» En un mot, l’important c’est de sauver les apparences! Vous êtes une femme battue? Qu’à cela ne tienne, achetez un bon anticerne. Vous êtes homosexuel? Faites en sorte que personne ne l’apprenne. Vous ne faites pas le ramadan, vous buvez de l’alcool, vous êtes corrompu, vous embauchez des enfants pour faire votre ménage? Pas d’inquiétude, arborez les apparats de l’homme pieux, prenez une mine grave, faites la leçon aux débauchés et une fois chez vous, fenêtres et portes closes, roulez-vous dans vos vices. Tant que c’est caché, tout le monde s’en fiche.

La sincérité? La franchise? La cohérence entre les convictions et les actes? Je vous le répète: tout le monde s’en fiche. On préfère de loin un menteur qui fait bonne figure à un homme sincère qui refuse de jouer le jeu. Car dans notre société la seule chose qui compte c’est de se plier à la loi du groupe, de ne pas faire un pas de côté, de ne pas affirmer sa différence. Pas étonnant qu’un film comme Much Loved, qui montre la réalité crue, telle qu’elle est, ait suscité un tel accès de violence. Et pourtant, l’émission de 2M est à mes yeux bien plus pornographique que les danses de Loubna Abidar ou la petite culotte de Jennifer Lopez.

Mais revenons-en au sujet de la violence faite aux femmes. Au Maroc, la brutalité domestique est encore très répandue et elle reste un outil d’éducation. Combien d’enfants, combien de femmes, perdent l’ouïe suite aux coups sur le visage ? Combien d’adolescents quittent leurs foyers pour fuir la violence? Aujourd’hui, notre pays n’a toujours pas de loi contre la violence domestique! Pourtant, une étude menée en 2010 montrait que près des deux tiers des Marocaines avaient subi des agressions physiques, psychologiques, sexuelles ou économiques. 55% ont signalé avoir subi des violences «conjugales».

Comment un problème de société aussi grave, aussi tragique, a t-il pu être traité avec autant de légèreté? Pas une seconde on ne sent chez la présentatrice ou chez son modèle le moindre élan de révolte. «C’est comme ça. C’est notre lot» semblent-elles dire. La violence, l’humiliation, on l’accepte et on lutte avec les pauvres armes qu’on nous laisse : un pinceau et un fard à paupières. Parce qu’en plus il s’agit d’être jolie, de se cantonner au rôle de poupée qu’on nous a assigné. A la fois «pute et soumise» pour reprendre le nom de la célèbre association féministe française. On ne va pas aller gâcher la vue de ces messieurs et leur couper l’appétit avec nos balafres et nos hématomes. Mais quel exemple donne-t-on aux Marocaines de demain ? En tenant ce type de discours on incite les générations à venir à intérioriser la violence domestique quand, au contraire, il faudrait enseigner aux femmes à se révolter, à se rebeller, à refuser les mains sur les fesses, les mots graveleux dans la rue, les coups à la maison, l’humiliation au bureau, les mariages forcés, etc.

La vidéo de 2M me dégoûte, elle me met hors de moi parce qu’elle entérine l’image de passivité, de docilité qu’on essaie de mettre dans la tête des jeunes filles. Parce qu’elle valide le discours des hommes qui parlent de nous comme des animaux et qui disent que les femmes ont besoin d’une bonne correction de temps en temps et que ça ne leur fait pas de mal. La place de ces hommes est en prison. Il faut apprendre aux femmes à dire non dès le plus jeune âge. Arrêtez de vous maquiller pour plaire ou pour cacher ce que vous n’osez montrer! Soyez ce que vous êtes, battez-vous pour vos droits, faites-le pour vos enfants, pour toutes les filles qui viendront après vous. Faites-le pour vous et pour votre dignité ! Si chacune de nous dit non, nous formerons un mur impossible à franchir. Chaque mère et chaque père devraient le répéter inlassablement à leurs filles: les femmes n’ont pas à s’écraser. Chaque mère et chaque père devraient expliquer à leur fils qu’il est tenu de traiter la femme comme son égal et qu’il n’est pas obligé de se comporter en prédateur.

Le plus beau cadeau que mes parents m’aient fait c’est de m’apprendre à me révolter contre ceux qui voudraient m’opprimer, m’humilier, m’abaisser. Mes parents n’ont eu de cesse de me répéter que j’avais une valeur et que j’avais le droit au respect. Non c’est non! Ca suffit! Refusons d’être les complices de la culture patriarcale! Refusons les discours et les attitudes de celles qui, comme Bassima Hakkaoui et d’autres, justifient la violence et la domination masculine au nom des traditions, du religieux, méprisant ouvertement la dignité de chacun et les droits de l’Homme.

Par Leila Slimani
Le 01/12/2016 à 12h57