Pauvre Molière!

Le360

ChroniqueDans les meetings des partis d’extrême droite de toute l’Europe, on entend le même refrain. «On est chez nous! On est chez nous!» (…) La «clause Molière» a de quoi ravir les thuriféraires de Marine Le Pen, car elle n’est rien d’autre qu’un premier pas vers le principe de préférence nationale.

Le 16/03/2017 à 21h06

Il y a quelques jours, la région Ile-de-France a adopté une clause au nom poétique et trompeur: la clause Molière. Cette mesure vise officiellement à réglementer l’accès des entreprises aux marchés publics dans des secteurs clés comme les travaux ou les transports.

Pour les défenseurs de cette clause, qui impose notamment l’usage de la langue française sur les chantiers, il s’agirait avant tout de garantir la sécurité des ouvriers et de s’assurer qu’ils comprennent bien les directives qui leur sont données. Mais comme le faisait ironiquement remarquer un élu de gauche: en quoi est-il nécessaire de parler français pour bâtir un mur ou bétonner une route? Pourquoi devrait-on exclure d’un marché des entreprises tout à fait compétentes pour effectuer le travail qui leur est demandé? Imaginez que des entreprises françaises soient contraintes de prouver que leurs employés parlent chinois, letton ou turc, pour obtenir des marchés dans ces trois pays? Inconcevable!

Heureusement, tout le monde n’est pas dupe et ne fait pas semblant de croire qu’il y ait, derrière cette mesure, le moindre semblant d’humanisme. En réalité, cette clause est avant tout un moyen de lutter contre les travailleurs détachés, en général originaires d’Europe de l’Est, une pratique légale, mais qui cristallise l’opposition de l’extrême droite et d’une partie de la population depuis des années. La «clause Molière» a ainsi de quoi ravir les thuriféraires de Marine Le Pen, car elle n’est rien d’autre qu’un premier pas vers le principe de préférence nationale.

Lorsque je suis entrée à Sciences-po en 2002, l’un de nos cours magistraux portait sur la mondialisation et la notion de village planétaire. Etudiants comme professeurs étions à l’époque fascinés par cette nouvelle donne économique, commerciale et culturelle. Nous n’étions sans doute pas suffisamment conscients des peurs que la mondialisation engendrait aussi chez une partie de la population, particulièrement touchée par la concurrence de la main d’œuvre moins chère. La vague de délocalisation et la désindustrialisation qui s’en est suivie, l’arrivée sur le territoire français d’ouvriers polonais, roumains ou bulgares, tout cela a contribué à nourrir une véritable haine de la mondialisation et le désir de retrouver des frontières étanches et protectrices.

Le vote en faveur du Brexit, au Royaume-Uni, était aussi un vote anti-immigration de la part des travailleurs pauvres britanniques qui ont eu le sentiment d’être mis en concurrence déloyale avec les autres travailleurs de l’Union européenne. La Première ministre, Theresa May, n’a-t-elle pas d’ailleurs envisagé de demander aux entreprises nationales d’établir une liste de leurs salariés étrangers afin de pouvoir appliquer, si nécessaire, le principe de préférence nationale?

Dans les meetings des partis d’extrême droite de toute l’Europe, on entend le même refrain, scandé par les militants, les jeunes, les identitaires. «On est chez nous! On est chez nous!» Quand on y pense, on se dit que ça pourrait être beau, ce refrain. Ça pourrait être un cri d’amour, une manière de s’enlacer, de faire corps. On est chez nous, on y est bien. On est en sécurité, et rien ne peut nous arriver. Mais il ne faut pas se leurrer! «On est chez nous» est avant tout un cri de haine. On est chez nous ça veut dire sors de chez moi, tu n’as rien à faire ici. Ramasse tes affaires, prends la route, va voir ailleurs si j’y suis! Arrête de manger le pain des Français, le travail des Français, l’argent public des Français. On est chez nous et on compte bien en profiter. Nous d’abord, vous dehors.

Par Leila Slimani
Le 16/03/2017 à 21h06