Souffrez, vous êtes filmés…

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ChroniqueJe ne suis pas un anthropologue ni un chercheur en prospective. Je ne suis qu’un pauvre observateur qui a le vilain défaut de vouloir tout analyser pour tout comprendre. Le problème, c’est que j’ai beau toujours tout analyser, je ne comprends toujours pas tout et souvent je ne comprends rien du tout

Le 12/04/2016 à 11h04

On ne le dirait jamais assez: nous vivons vraiment une époque extraordinaire. Avec toutes ces inventions et toutes ces nouvelles technologies comme l’Internet, les Smartphones et tout ça, on ne sait plus jusqu’où on va aller.Il faut dire que nous n’y sommes absolument pour rien. Autrement dit, nous, nous n’avons rien inventé. Je ne sais même pas si la théière, le couscoussier ou même le tajine, c’est nous ou bien ce ne sont que des idées que nous avons piquées chez nos ancêtres les Romains. Je ne dis pas que nous ne sommes pas capables de créer des choses. Je sais que c’est nous qui avons inventé, par exemple, la bouteille d’eau en plastique pour saler les épis de maïs grillés, l’épingle à nourrice pour manger les escargots, le morceau de carton pour attiser les braises du kanoun pour les barbecues ou même l’élastique pour tenir le stylo Bic de l’épicier, et bien d’autres objets aussi utiles que révolutionnaires.

Mais dans le rayon technologique, nous ne sommes que de simples consommateurs. Peut-être un jour, qui sait… En attendant, nous profitons pleinement de ces nouvelles technologies qui apportent tant à nous autres Marocains et Marocaines et plus particulièrement à nos compatriotes qui pensent avoir des choses à dire ou à montrer.

Je sais bien que je ne vous apprends rien de nouveau, puisque depuis l’avènement du GSM et surtout de l’internet, nous avons complètement changé de comportement, notamment vis-à-vis des évènements qui nous touchent ou qui nous interpellent. Vous allez me dire que ce n’est pas spécifique au Maroc et je vous dirais que dans notre pays, comme d’ailleurs dans la plupart des pays semblables au nôtre, c’est beaucoup plus marquant.

Avant, on n’osait pas parler de nos problèmes ou juste ceux des autres même à nos proches, aujourd’hui, on les filme et on les montre à tout le monde, voire au monde entier. Les impacts et les effets ne sont pas toujours performants, mais, l’essentiel, c’est que les gens s’expriment ou, plutôt, ont l’impression de s’exprimer, ce qui n’est pas tout-à-fait la même chose. Je ne dis ni que c’est bien ni que ce n’est pas bien et je ne sais vraiment pas, comme je l’écrivais tout haut, où tout ça va nous mener. Je ne suis pas un anthropologue ni un chercheur en prospective. Je ne suis qu’un pauvre observateur qui a le vilain défaut de vouloir tout analyser pour tout comprendre. Le problème, c’est que j’ai beau toujours tout analyser, je ne comprends toujours pas tout et souvent je ne comprends rien du tout.

Tenez, c’est juste un exemple, cette histoire de ce malheureux caïd qui aurait été pris en flagrant délit de libertinage plus ou moins forcé et qui a été filmé par un simple téléphone portable à l’insu de son plein gré par celle-là même qu’il aurait plusieurs fois harcelée et chez elle, en plus. Ce qui est encore plus étonnant c’est que ce film mélo-comico-dramatique a été tourné en direct sans script, sans acteurs professionnels et sans censure aucune en présence du propre mari de la présumée femme harcelée et qui était vachement énervé, c’est le moins qu’on puisse dire. Je ne sais pas qui a posté cette vidéo sur internet, ni pourquoi il ne l’a fait que plusieurs semaines après les faits.

Je ne voudrais pas non plus porter un jugement de valeur sur aucune de ces personnes sur la seule base d’images qui peuvent avoir été manipulées ou bien pourraient servir à manipuler. Je ne suis pas un juge et je suis un démocrate viscéralement attaché à l’État de droit et donc je suis aussi bien contre «la justice de la rue» que «la justice-maison». Par contre, je me dis que c’est parce que ces personnes sont convaincues que la justice ou l’administration ne va pas ou ne pourra pas leur accorder leurs droits, qu’elles sont poussées à recourir à ces méthodes insolites et peu communes, c’est-à-dire faire une vidéo et la poster sur internet.

Je vais vous donner deux citations de deux grands penseurs qui n’en pensent pas moins. La première citation est de Alain: «Le vrai désespoir est sans réflexion». Et la seconde, de Sénèque: «Tirons notre courage de notre désespoir même». Je ne suis pas à la place de ces gens et je n’aimerais pas y être, mais je ne vous cache pas qu’il m’arrive parfois de penser que si ces moyens existaient il y a quelques années, j’aurais, peut-être, sans doute, probablement, certainement, fait de même. Je l’avoue d’autant plus que pas loin qu’hier lundi, le Tribunal de Beni-Mellal qui avait jugé l’affaire des homos honteusement tabassés par des citoyens soi-disant très froissés a effectué un retournement inattendu et pour le moins spectaculaire. Comme quoi…

Sur ce, je n’ai plus qu’à vous dire vivement une justice plus juste et une administration plus diligente et vivement mardi prochain.

Par Mohamed Laroussi
Le 12/04/2016 à 11h04