Ecouter un livre? Non, merci!

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C’est comme avec les vidéoclips, ils restent le meilleur moyen de tuer l’imaginaire lié à la musique. Vous n’avez plus à imaginer quoi que ce soit, on le fait à votre place. C’est dramatique!

Le 02/05/2020 à 10h29

«Il faut que tu écoutes ce livre, Il faut que tu écoutes ce livre!». Pardon, écouter un livre? Je n’ai rien contre les livres audio. Mais je suis un dinosaure, moi. J’ai besoin de lire les mots avec ma voix et ma musique à moi.

«Je veux bien lire mais je ne veux pas m’esquinter les yeux, et puis je n’ai pas le temps». Et puis, quoi encore?

Nous vivons une époque folle où tout s’accélère. La différence entre le présent et le passé, et que certains appellent le progrès, c’est le temps. Le progrès, c’est gagner du temps. Ça veut dire vivre plus longtemps, ça veut dire faire plus de choses en moins de temps.

Pour gagner du temps, on numérise nos livres et on les stocke sur notre téléphone. On peut les lire ainsi même en réunion de travail, quand les débats s’éternisent et que tout le monde s’ennuie. Pourquoi pas, dirions-nous, tant qu’on lit…

Certains vont plus loin. Ils n’ont même plus le temps, ni la force de lire. Alors ils collent leurs écouteurs aux oreilles… et ils écoutent les livres. Pendant qu’ils préparent à manger ou font les devoirs avec leurs enfants.

Le progrès veut ça. Gagner du temps, encore et encore, veut ça. L’obsession de faire plus de choses dans le même temps, veut ça. Et refuser ça, c’est s’opposer au progrès, n’est-ce pas ce qu’on dit?

Certains trouvent cela génial. Parce qu’ils «lisent» sans solliciter leurs yeux ni leurs mains, qui peuvent être occupés à faire autre chose ou rester au repos. J’en connais qui écoutent un livre en faisant la sieste. Ils se laissent entrainer par la voix qui lit, sa musique, sa tonalité, ses pauses, ses changements de rythme.

Le livre devient une voix! Ce n’est plus les mots qu’on écoute mais la voix. Comme à l’âge d’or du théâtre radiophonique, des histoires de Pierre Bellemare ou d’Orson Welles, l’oreille écoute, les yeux se ferment et l’esprit s’évade.

C’est le même principe qui s’applique aux contes pour enfants. Pendant qu’ils s’agitent, font des cauchemars et n’arrivent pas à trouver le sommeil, leur mère ou leur père leur lisent des histoires de princesses et de princes charmants, avec une morale rassurante à la clé. Et le miracle opère. L’enfant ferme les yeux et dort avec un sourire béat à la bouche. 

Le lendemain, il va tout oublier. Parce qu’il n’a rien lu de ses yeux. Mais il aura passé une bonne nuit de sommeil! Et ses parents ont eu la paix!

Ecouter un livre fait du livre et des mots un outil de distraction. Un processus passif. Comme allumer la télévision et la laisser en toile de fond. Ça devient un moyen de lutter contre la névrose du quotidien. C’est le repos des méninges. 

Le livre change de fonction et devient comme un jeu. Les mots ne vous appartiennent plus. La voix qui lit s’approprie de tout cela et vous met dans une cage. Elle vous dessine un imaginaire. Ne faites surtout pas d’effort, la voix s’occupe de tout.

C’est comme avec les vidéoclips, ils restent le meilleur moyen de tuer l’imaginaire lié à la musique. Vous n’avez plus à imaginer quoi que ce soit, on le fait à votre place. C’est dramatique!

Alors, me demanderiez-vous après toutes ces joyeusetés, prêt à écouter un livre? Non, merci. Je préfère encore m’esquinter les yeux. Ecouter un livre, je n’y arrive pas. Le confinement n’arrange pas mon cas. 

Par Karim Boukhari
Le 02/05/2020 à 10h29