Exclusivité-Le360. Ep15. Les bonnes feuilles de «Meg Broncovitch», un récit de Mustapha Kebir Ammi

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Revue de presseMustapha Kebir Ammi nous offre un texte inédit, "Meg Broncovitch", dont nous vous proposerons, chaque semaine, un extrait. Un texte lié à l'actualité et plein de rebondissements. Du narrateur, l'auteur dit qu'il lui ressemble "comme un double" dans ce récit qui, ajoute-t-il, "évoque des problématiques importantes", servies par une plume délicieuse.

Le 16/04/2022 à 13h01

Je quittai mes amis. Je n’avais pas loin à aller, un simple étage à gravir, mais j’étais exténué, j’avais la plus grande peine à marcher. Cela s’était produit une seule fois, au sortir de l’enfance, quand on avait diagnostiqué le mal dont je souffrais. J’ai gardé le lit les trois jours suivants. J’ai revu mes notes avant de les jeter, j’étais sûr maintenant que je n’en ferais jamais rien, et Laura m’a téléphoné, elle voulait m’inviter à déjeuner.

-Il y a un délicieux petit restaurant syro-libanais, qui vient d’ouvrir dans mon quartier.

Ça faisait longtemps que je n’avais pas déjeuné en tête à tête avec elle. Je n’étais pas en mesure de sortir à l’heure qu’il était, je me sentais terriblement faible, mais je lui promis d’aller la voir le lendemain. C’est ensuite la secrétaire de Nick, qui m’a appelé, Miss Bridgewater, une femme effacée, élevée par une mère qui l’avait empêchée de vivre pleinement sa vie. On voyait, quand on l’observait bien, que des rêves se bousculaient derrière son front. Elle avait une voix haut perchée qui contrastait avec sa mise austère. Elle m’indiqua que Nick voulait savoir si je pouvais faire un saut à son cabinet. Non, dîtes-lui que je ne peux pas, je le rappellerai dans l’après-midi, Miss Bridgewater. Le peu de forces qui me restait, je ne voulais pas le gaspiller dans les transports pour me rendre à l’autre bout de la ville. Je voulais le garder pour aller chez mon médecin.

J’ai regardé par la fenêtre, comme il y avait des nuages noirs qui promettaient une grosse pluie, j’ai mis mon imper et j’ai sauté dans un taxi. La traversée de Londres s’est faite pratiquement sans encombre. Aux abords de Marble Arch, il y avait quelques retenues. Mais dans l’ensemble, tout allait bien. Le chauffeur de taxi n’en revenait pas ces derniers jours de la facilité à se déplacer à Londres.…

J’entrai chez mon médecin, qui faisait partie lui aussi des soirées de Holland Park, et qui ne manquait pas d’humour.

-Quel bon vent vous amène?

Il m’ausculta, rangea son stéthoscope et s’installa derrière son bureau.

-Vous n’êtes pas encore à l’article de la mort, mon ami!-C’est en effet une bonne nouvelle, car je ne peux pas me permettre de mourir avant un an au moins!

-Il faut, toutefois, que vous gardiez le lit pendant une bonne semaine. Vous bougez trop, si je ne m’abuse.

Je ne sortis pas de chez moi pendant cinq jours. Comme d’habitude, Mrs. Jenkins fut aux petits soins. Je l’avais priée de n’en rien faire, mais elle se soucia de m’envoyer tous les jours mon dîner aux alentours de dix-huit heures.

J’appelai Laura et la priai de me pardonner de ne pouvoir déjeuner le lendemain avec elle. Je sentis une terrible déception dans sa voix. Elle avait besoin de me parler. La découverte d’un restaurant syro-libanais qu’un copte avait ouvert à deux pas de sa boutique, à Chelsea, n’était qu’un prétexte.

J’ai raccroché et Simpson m’a prévenu qu’un terrible attentat venait d’être perpétré à Madrid.

-Saute dans tes baskets, direction Madrid, Buddy, et fais-nous un reportage du tonnerre de Dieu, sur les auteurs de cette horreur, un reportage qui crache le feu, sur les lieux où ces monstres ont vécu…

J’ignorais encore que c’étaient des compatriotes, des petits délinquants, qui détournaient la religion à des fins criminelles, qui avaient commis cette horreur.

Je n’étais pas encore dans l’état de sauter dans un train ou dans un avion. J’étais extrêmement faible. J’allais m’écrouler, c’est sûr. Mais je ne savais pas dire non.

Par Le360
Le 16/04/2022 à 13h01