L'émouvant hommage de la famille de Leila Alaoui, quatre ans après sa mort

Leila Alaoui

Leila Alaoui . DR

Le 18 janvier 2016, la photographe franco-marocaine périssait sous les balles de terroristes à Ouagadougou. Quatre ans plus tard, la douleur de sa famille et de ses proches est toujours aussi vive.

Le 18/01/2020 à 13h19

En hommage à Leila Alaoui, sa famille a tenu à lui rendre un vibrant hommage dans un texte publié sur les réseaux sociaux. 

Une manière de rappeler ce qu'incarnait et ce que représente plus que jamais cette jeune femme qui militait, à travers l'objectif de son appareil photo, pour davantage de justice. 

Fauchée à la fleur de l'âge lors d'un attentat, sa mémoire perdure dans l'esprit de ceux qui l'ont connue, de près ou de loin, grâce à ses oeuvres, immortelles. Voici l'hommage que lui rend aujourd'hui sa famille, inconsolable:

"Voir périr Leila à la fleur de l’âge reste inconsolable malgré le fait que nous nous soyons résignés à l’évidence que la mort arrachera qui que ce soit à tout âge et en tout lieu. Et si nous ne songeons que rarement à voir nos proches emportés par elle, c’est que nous sommes peu enclins à envisager d’être frappés par les pires maux, comme si nous étions prémunis contre eux ou que nous ayons suivi une voie moins périlleuse que celle des malheureux que nous croisons sur notre chemin et dont les peines nous rappelle à notre vulnérabilité commune.

Ces quatre longues années, notre douleur n'a rien perdu de sa véhémence initiale. Elle se ravive et s'affermit au fil des jours, au fil de l’absence. Le temps, antidote des plus grandes afflictions et tombeau des douleurs les plus insoutenables semble n’être d’aucune efficacité. A chaque exposition, à chaque article, à chaque mention de son nom, sa perte nous ait rappelée, son arrachement est renouvelé, et la blessure de son manque en est encore plus enracinée. Et pourtant, nous n’avons cessé de se représenter partout son image, de parler et d’entendre parler d’elle, de porter son combat et son héritage. Nous lui devons ce courage, nous lui devons d’honorer ce qu’elle a été.

Leila fut une femme de cœur dont le nom vit et continuera de vivre dans les mémoires tant qu’il y aura des mouvements migratoires ayant bouleversé le bassin méditerranéen en ce début de siècle, tant qu’il y aura une seule femme ou un seul homme curieux de savoir ce qu’a pu être une artiste marocaine libre, mue tout au long de son existence par un engagement humaniste indomptable et par une expression indépendante alors que l’autocensure battait son plein dans les milieux artistiques et intellectuels de son pays et de son époque.

Ce que nous cherchons à accomplir à travers cette fondation qui bénéficie de votre soutien inconditionnel depuis le premier jour, est de permettre au public du monde entier d’accéder à ses œuvres, de les admirer, de les garder dans le cœur. Que son travail défie l’outrage du temps et que son héritage l’emporte sur le souvenir des crimes abjects de ses bourreaux. De ne cesser de faire vivre son talent, vainqueur des flammes qui l’ont consumée. De ressusciter à chaque action sa vigueur d’âme et le courage dont elle a légué des preuves incontestables.

En ce début d’année qui marque pour nous un si sombre anniversaire, nous essayons de rationaliser notre perte, d’y trouver du sens, de lui prêter une finalité. Nous sommes à présent convaincus qu’une longue vie est celle qui se suffit à sa tâche. Que rien n’est plus aléatoire et injuste que la mesure des destins. Que nul ne meurt trop tôt et qu’une fois que l’on réalise sa destinée, la mort vient nous chercher. La tâche de Leila a été accomplie, sa course a atteint son but. Nous nous réconfortons à l’idée que les esprits qui brillent le plus, vivent souvent le moins et que la mort n’a point frappé Leila mais son image. Que désormais immortelle, elle est en meilleur lieu. Et lorsque le jour arrivera où notre heure sonnera aussi, nous la rejoindrons dans cet au-delà dont nous ignorons tout. Leila, comme à son habitude, a une longueur d’avance sur nous. Elle est déjà initiée à ces mystères.

Nous vous souhaitons que cette année vous jouissiez entièrement les uns des autres, de ceux que vous aimez le plus, que vous vous réjouissiez mêmes des plus infimes bonheurs car rien de ce qui est n’est fait pour demeurer.

La famille Alaoui."

Par Zineb Ibnouzahir
Le 18/01/2020 à 13h19