Musée Mohammed VI: polémique autour de photos portant le voile

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Deux photos de Malek Nekmi, exposées au Musée Mohammed VI depuis 2014, font polémique. A l’origine, des propos d’un agent de sécurité qui déclare à deux visiteurs: « Ceci n’est pas fait pour les Marocains ». Récit.

Le 09/08/2016 à 14h38

Nouvelle polémique au Musée Mohammed VI à Rabat! A l’origine, une phrase: «Ceci n’est pas fait pour les Marocains». L’histoire s’est passée, lundi 8 août, lorsque deux visiteurs du musée ont fait une rencontre qui les a laissés sans voix. A l'étage supérieur, sont exposées deux photographies de l’artiste marocain résident en France, Malek Nejmi.

Il s’agit de deux œuvres couvertes par un foulard coloré, de telle sorte que les deux foulards constituent une espèce d’écran qui s’interpose entre les œuvres et les spectateurs. Intrigués, les deux visiteurs s’approchent des photographies, lèvent le voile et découvrent des images de garçons qui se lavent. Ils sortent l’appareil pour capturer l’image quand un agent de sécurité accourt, les empêche de poursuivre leur action et leur lance : « Ceci n’est pas fait pour les Marocains ».

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Abasourdie, Chama Darchoul, une ex- journaliste, qui a accompagné son ami pour voir les deux œuvres en question, crie au scandale. Dans sa déclaration à la presse, elle raconte les faits et dit ne rien comprendre à la réaction de cet agent de sécurité. «Ses propos sont quand même outrageants. Cela veut dire quoi? Cela veut dire que lorsque les étrangers viennent au musée, on les laisse voir l’œuvre sans voile ?», s’insurge-t-elle.

Contacté par le360, Abdelaziz Idrissi, le directeur du musée, explique que l’établissement n’interfère en aucun cas dans le travail d’un artiste et que les photographies en question sont des œuvres à considérer dans leur intégralité. Cet épisode a poussé le Musée Mohammed VI, au lendemain de la polémique, à publier une mise au point. «Suite à la publication de certains articles sur des sites électroniques ces derniers jours, la Fondation nationale des musées tient à préciser qu'elle n'a jamais interféré ou est intervenue dans la démarche artistique d'un artiste ».

Et le communiqué d’ajouter : «Les foulards folkloriques ukrainiens qui couvrent actuellement deux photographies de l'artiste Malik Nejmi font partie intégrante de son œuvre et avaient appartenu à sa grand-mère. Les photographies ainsi que les foulards, ne sont pas censés être touchés par les visiteurs».

Sujet clos? Pas vraiment! Joint au téléphone par nos soins, l’artiste Malik Nejmi précise que le fait que les agents de sécurité ne connaissent pas les œuvres constitue un vrai problème. Il raconte que lorsqu’il a publié ces œuvres en 2006, sa famille au Maroc lui a demandé de ne plus venir la voir. «Les membres de ma famille étaient choqués par les œuvres où on voit le corps mutilé d’un jeune, faisant partie de ma famille. Ce sont pour moi des photos qui représentent plus l’amour et le soutien des mères vis-à-vis de leurs enfants. Mais elles n’ont pas été vues de cet œil.

Pour ma famille, l’interdit de la représentation du corps dans l’islam fait que c’est choquant», relate l’artiste. Il ajoute que pendant dix ans, il n’a pas pu venir au Maroc pour des raisons affectives et psychologiques. «On m’a fait passer pour un traître, c’était très violent», affirme l’artiste.

Pour se racheter en quelque sorte, il a exposé ces deux œuvres pour la première fois au Musée Mohammed VI durant son inauguration en 2014. Les œuvres étaient couvertes par des foulards ukrainiens qui appartenaient à sa grand-mère. «Ces foulards n’ont rien à voir avec l’islam. Ce sont des foulards roumains qui viennent d’Ukraine. Chez nous, les grands-mères les portent sur leurs cheveux. Ce n’est pas un hijab. Avant de mourir en 2002, ma grand-mère m’a laissé trois objets dont ce foulard là. Ce foulard m’a permis de transmettre à mes enfants ce lien que ma famille m’avait enlevé. Le dernier lien que j’avais avec le Maroc c’était ce foulard. Ce foulard, j’en avais fait don et il appartient aujourd’hui au musée de l’immigration à Paris. Mais ces articles m’ont manqué, j’en ai acheté d’autres et j’ai voulu couvrir ces photos qui avaient choqué ma famille mais en me servant de ce foulard qui m’avait justement permis de retourner au Maroc».

Le conflit réside davantage, selon l’artiste, dans le fait d’exposer ses œuvres sans choquer sa famille qui ne veut pas voir le sujet photographié tout en montrant l’œuvre. «On ne voit pas la photo. L’œuvre, elle, est là avec sa part cachée», explique Malek Nejmi.

Pour sa part, Abdelaziz Drissi souligne que le musée veillera à ce que les agents de sécurité soient formés davantage pour éviter ce type de propos dans l’avenir. «Nous ne cessons de leur dire qu’il faut orienter les visiteurs vers les personnes habilitées à fournir des informations». Mais apparemment, si on savait que tout le monde peut avoir un avis sur les œuvres d’art, on ignorait qu’il y avait des œuvres pour les Marocains et d’autres pour les non-Marocains!

Par Qods Chabaa
Le 09/08/2016 à 14h38