Cession de Saham Assurance à Sanlam: le silence suspect de l’Autorité de contrôle

Hassan Boubrik, président de l'ACAPS.

Hassan Boubrik, président de l'ACAPS. . DR

L’opération de cession du pôle d’assurance du groupe Saham au sud-africain Sanlam continue d'alimenter les rumeurs les plus folles. Et ce n'est pas le mutisme de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) qui va y mettre un terme. Pourquoi donc?

Le 21/05/2018 à 14h22

Si les rumeurs font état d’un éventuel refus de l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS) de donner son feu vert à l’opération de cession du pôle d’assurance du groupe Saham au sud-africain Sanlam, le silence de l’ACAPS ne fait que les attiser. D’autant que les délais requis pour se prononcer sur la recevabilité du dossier semblent déjà dépassés.

Le Code des assurances (article 172) stipule que «toute prise de contrôle direct ou indirect supérieur à 30% du capital social doit recueillir l'accord préalable de l'ACPAS» et que «la réponse de cette dernière doit intervenir dans les 30 jours à compter de la date de réception de la demande présentée à cet effet». Plus de deux mois après l’annonce de cette opération dont le montant s’élève à 1 milliard de dollars, le verdict de l’ACAPS se fait toujours attendre, sachant que celle-ci est obligée de motiver sa décision en cas de refus.

Quelles sont les raisons qui peuvent justifier un éventuel refus? En quoi consiste la mission de l’ACAPS et quels sont les aspects sur lesquels porte l’instruction de cette autorité? L’ACAPS reste peu bavarde à ce sujet malgré notre insistance, contrairement à son homologue français, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) qui détaille sur son site internet les différentes étapes de la procédure relative à la modification de l’actionnariat (critères d’appréciation, formulaires à remplir, etc.).

Selon le Code marocain des assurances, l'administration (l’ACAPS dans ce cas) est en droit d’interdire les acquisitions d'actions ou les prises de contrôle d'une compagnie d'assurances «lorsque ces opérations sont considérées comme contraires à l'intérêt général». Certains voient dans le profil de l’acquéreur sud-africain, Sanlam, une menace sérieuse pour Saham Assurance et de manière générale, pour tout le secteur. Le groupe Sanlam, faut-il le rappeler, est contrôlé par un certain Patrice Motsepe, qui n’est autre que le frère de la Première dame sud-africaine, Tshepe Motsepe-Ramaphosa. Lui offrir la troisième compagnie d’assurance au Maroc (Saham détient 12,4 % des primes émises sur le marché marocain et occupe le premier rang dans le segment non-vie avec 17,4%), c’est faire fi de l’animosité dont a longtemps fait preuve l’Afrique du Sud et continue d’ailleurs à le faire à l’égard du Maroc et de son intégrité territoriale.

Le 22 mars dernier, le parti qui domine la vie politique sud-africaine, le Congrès national africain (CNA), avait clairement affirmé, par le biais de son sous-comité en charge des relations internationales, son soutien aux séparatistes du Polisario. Le fondateur du groupe Saham, Moulay Hafid Elalamy, qui préside également le comité de candidature du Maroc à l’organisation de la Coupe du Monde 2026, saura lui-même mesurer la qualité des liens entre Rabat et Johannesburg à l’aune de la position réservée au dossier marocain. Début mai, la Fédération sud-africaine de football a retiré son soutien déclaré à la candidature marocaine au bénéfice de United 2026 qui comprend les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Moulay Hafid Elalamy, qui a laissé fuiter dans la presse que la cession de Saham profiterait aux relations entre Rabat et Pretoria, n’a même pas réussi à arracher un soutien de ce pays africain pour la candidature marocaine qu’il préside.

L’ACAPS va-t-elle aussi tenir compte des rebondissements de l’affaire «fiscale» en lien avec la mesure d’exonération des droits d’enregistrement introduite dans la Loi de finances 2018, laquelle aurait permis au groupe Saham de mieux négocier sa cession en privant le Trésor de plus de 400 millions de dirhams de recettes fiscales. Pour rappel, lors du Conseil de gouvernement réuni le jeudi 10 mai, le ministre de l’Industrie, Moulay Hafid Elalamy, a publiquement saisi le chef de gouvernement en lui demandant d’ouvrir une enquête afin de tirer cette affaire au clair. Le patron de l’ACAPS, Hassan Boubrik, va-t-il suspendre l’instruction du dossier Saham/Sanlam jusqu’à la fin de l’enquête, si enquête il y a?

Selon nos informations, le sujet de l’opération Saham-Sanlam a été abordé lors de la dernière réunion du Conseil de l’ACAPS, l’instance suprême de cette autorité, auquel prennent part, outre son président Hassan Boubrik, les représentants de l’AMMC, du Trésor, de la Cour des comptes, en plus du commissaire de gouvernement et de trois autres membres indépendants.

En revanche, le Conseil ne s’est encore pas prononcé sur la recevabilité de la cession, tant que le processus d’instruction n’est pas terminé. Interrogé sur les éléments d’appréciation qui peuvent nuire à l’intérêt général et, partant, conduire au rejet de l’offre Saham-Sanlam, un membre dudit Conseil nous cite quelques critères purement économiques: «le rôle de l’ACAPS consiste à vérifier si l’opération respecte les règles prudentielles et celles en lien avec la concurrence, la concentration, etc. Le but est d’assurer une viabilité des acteurs, de maintenir un équilibre au niveau du marché et de préserver les intérêts des consommateurs». S’agissant des critères susceptibles d’être contraires à l’intérêt général d’ordre politique, notre interlocuteur affirme que l’Autorité des assurances ne peut pas se permettre de prendre des décisions à caractère politique. Au cas où l’opération Saham-Sanlam serait politiquement incorrecte, c’est le gouvernement qui doit tirer la sonnette d’alarme et saisir l’ACAPS le cas échéant.

Par Wadie El Mouden
Le 21/05/2018 à 14h22