CNSS: les sept chantiers capitaux de Hassan Boubrik

Cérémonie d'installation officielle de Hassan Boubrik à la tête de la CNSS, le 15 février dernier.

Cérémonie d'installation officielle de Hassan Boubrik à la tête de la CNSS, le 15 février dernier. . DR

Au cœur de la généralisation de la protection sociale, la bonne vieille CNSS doit faire sa mue. Des chantiers herculéens attendent le nouvel homme aux manettes. Et si on établissait sa "to do list"!

Le 10/03/2021 à 09h20

Nommé le 11 février 2021, en Conseil des ministres, Hassan Boubrik, le nouveau directeur général de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) est censé jouer un rôle central dans le pilotage d’une des réformes les plus ambitieuses lancée au Royaume. Il s’agit de la généralisation de la protection sociale, un chantier gigantesque qui se fixe de grands objectifs à moyen terme et qui nécessite une pléthore de textes législatifs et de décrets techniques.

Hassan Boubrik pourra bénéficier de l’appui de l’Etat pour cette réforme capitale, voulue par le souverain: le ministère des Finances a annoncé la mobilisation d’un budget annuel de 51 milliards de dirhams, dont 23 milliards proviendront de fonds publics. Le challenge reste néanmoins de taille, car il faut mener des réformes de fond sur plusieurs fronts. Voici une liste des travaux herculéens que devra mener le nouveau patron de la Caisse de couverture sociale.

S’imposer comme manager

La CNSS, Hassan Boubrik en a connu l’aspect sans doute le plus agréable. Dans une autre vie, quand il était à la tête de la CD2G (société de gestion d’actifs de la Caisse de dépôt et de gestion), il en gérait une partie du portefeuille. La CNSS, il a aussi touché à ses prérogatives de protection sociale quand il a été repêché à l’Autorité de contrôle des assurances et de la protection sociale, en 2016. Mais désormais, il va devoir découvrir la CNSS en mode bonne vieille administration, créée en 1959. Révolue le temps où Boubrik devait gérer quelques dizaines de cadres, matheux comme lui. Là, c’est une fourmilière de plus de 4.000 personnes, avec un ancrage territorial national, que devra piloter ce natif d’Agadir en 1968.

Certes, la CNSS a fait sa mue depuis le début du millénaire et a presque fait oublier son trouble passé de vache à lait syndicale ayant donné lieu au "casse du siècle" avec à la clé un procès marathonien et des condamnations de restitution pour 32 milliards de dirhams détournés. Les rouages de la CNSS restent néanmoins sclérosés, malgré le virage de digitalisation qu’elle a relativement réussi ces dernières années. Une lourde machine que le manager Boubrik devra dynamiser davantage pour être à la hauteur de la plus grande réforme sociale jamais menée au Maroc.

Remise à plat du dispositif réglementaire

Harmoniser le champ législatif et réglementaire avec les évolutions de la Caisse, les préparer aux transformations futures imposées par le chantier national de la généralisation de la couverture sociale… Cela passe par une refonte législative et réglementaire.

Le projet de loi-cadre, adoptée récemment en Conseil des ministres, ne fait que poser les premiers jalons de ce chantier. Sa mise en application nécessite la production d’une multitude de textes à amender ou de lois à proposer pour la première fois. Les dispositions à réformer relèvent de différents domaines: gestion administrative et financière de la CNSS, immatriculation et affiliation, déclarations et paiement de cotisations, coordination entre les régimes de prévoyance sociale, contrôle médical, encouragements déployés en faveur des entreprises, contentieux, recours et sanctions… et la liste est encore longue. Tout cet arsenal, il va falloir d’ailleurs le produire dans un temps record, vu que la loi organique fixe un échéancier serré pour atteindre les premiers objectifs.

Intégrer les Ramedistes à l’AMO

La couverture sociale, c’est d’abord une prise en charge médicale. Le choix a été porté sur l’Assurance maladie obligatoire (AMO) pour généraliser la couverture médicale. Elle devrait ainsi intégrer les bénéficiaires du Régime d’assurance maladie des économiquement démunis. Ce bon vieux Ramed devrait donc définitivement disparaître, après une quinzaine années d’activité. Les 11 millions de Marocains couverts actuellement par ce régime devront ainsi rejoindre une population couverte de 10 millions de personnes, répartis entre les 7 millions de salariés du secteur privé (y compris les personnes à charge), et les plus de 3 millions de fonctionnaires inscrits à la CNOPS. A ceux-là s’ajoute le contingent des travailleurs indépendants que la CNSS cherche déjà à intégrer graduellement dans son régime de l’AMO.

En définitive, la généralisation de ce régime vise à assurer une assurance médicale à 22 millions de Marocains, couvrant les frais de traitement, de médicaments et d’hospitalisation. Et cela devrait se faire avant 2022, alors que le chantier est vaste. Car il s’agit de trouver le juste équilibre entre le système contributif et le système solidaire, sachant que la cotisation d’une bonne partie des anciens Ramedistes sera supportée par des fonds publics. 8,5 milliards de dirhams sont d’ailleurs à mobiliser cette année pour réaliser cette fusion, auxquels devraient s’ajouter 5,5 milliards décaissés directement par les cotisants. Cette intégration des Ramedistes est sans doute le point le plus sensible de cette réforme de la protection sociale sachant qu’elle peut mettre en péril tout le système. D’où l’importance d’un ciblage efficient des bénéficiaires.

Contribuer à la réalisation du Registre social unifié

Le chantier du Registre social unifié (RSU) est en cours depuis 2018. Un projet de loi a été élaboré et a été approuvé en Conseil de gouvernement en 2019. Mais le dispositif a finalement connu un coup d’arrêt alors qu’il est crucial pour permettre un ciblage efficient des bénéficiaires des programmes d’appui social. La mouture initiale présentée prévoit la création d’une Agence nationale des registres.

La CNSS devrait jouer un rôle important dans le croisement des informations permettant d’établir ce registre de base de la population, d'autant qu’il s’agit d’attribuer un identifiant digital pour les citoyens, de manière à leur faciliter l’accès aux prestations fournies par les administrations publiques, les collectivités territoriales et les organismes publics et privés. La première version de ce RSU devrait ainsi être déployée fin 2022, ce qui permettra enfin de réaliser la réforme structurelle de la décompensation. Il s’agira de remplacer les subventions sur les prix des matières premières par un système d’accompagnement des couches sociales fragiles.

Distribuer les aides directes

La mise en place d’un Registre social unifié permettra d’optimiser les différents programmes d’aides directes. Le plus connu étant Tayssir qui consiste, depuis 2008, à fournir un appui financier aux familles pauvres, en vue de limiter la déperdition scolaire. La CNSS est au centre de la réforme de ce programme d'aides, relatifs à la protection de l'enfance visant à les regrouper selon des critères d'éligibilité précis.L'objectif est aussi de consacrer les marges budgétaires dégagées, grâce à la décompensation progressive, au financement d'une généralisation des allocations familiales qui seront distribuées par la Caisse. Il est question d’instaurer des indemnités ciblant 7 millions d’enfants en âge scolaire. Le coût financier est estimé à 20 milliards de dirhams pour cette généralisation des allocations familiales qui devrait être réalisée durant les années 2023 et 2024.

A noter que durant l’année 2019, le programme Tayssir a profité à plus de 2 millions d’élèves et a nécessité une enveloppe budgétaire de 2,17 milliards de dirhams. Quant aux allocations familiales de la CNSS (300 dirhams par mois), elles profitent actuellement à 2 millions d’enfants et coûtent dans les 7,8 milliards de dirhams. La CNSS aura donc la charge de doubler quasiment l’effectif bénéficiant de ces aides.

Activer l’indemnisation pour perte d’emploi

Depuis sa mise en place en 2014, l’indemnité pour perte d’emploi est loin d’avoir atteint sa vitesse de croisière. Les derniers chiffres disponibles montrent le décalage entre le résultat de ce filet social et la réalité sur le marché du travail. Alors que l’économie marocaine avait perdu, au troisième trimestre 2020, quelque 581.000 postes d’emploi, ce type d’indemnité n’a profité qu’à 13.871 personnes au cours de cette période. D’ailleurs, depuis sa création, le nombre de bénéficiaires du Fonds de l’indemnité pour perte d’emploi n’a pas dépassé les 77.826 âmes, avec une enveloppe budgétaire de plus de 962 millions de dirhams.

Déjà en 2018, la CNSS avait soumis un projet de réforme qui était censé revitaliser ce fonds. Elle visait à toucher quelque 58.553 bénéficiaires à l’horizon 2027. Mais là, tout est remis à plat, dans la mesure où la loi-cadre sur la généralisation de la protection sociale a mis la barre encore plus haut. Dès 2025, il est question de généraliser l’indemnité pour perte d’emploi, de manière à couvrir toute personne exerçant un emploi stable. Leur nombre n’est pas encore estimé, mais le ministère des Finances a budgétisé un milliard de dirhams par an pour atteindre cet objectif.

Elargir la base des retraités

La CNSS aura aussi la délicate tâche de multiplier par cinq le nombre de ses pensionnés en cinq ans seulement. La loi-cadre sur la généralisation de la protection sociale fixe, comme horizon, l’année 2025 pour élargir la base des adhérents aux régimes de retraite. Il est question d’y inclure environ 5 millions de personnes qui exercent un emploi et qui ne bénéficient d’aucune pension. Le challenge est de taille sachant que la Caisse a déjà du mal avec les 600.318 pensionnés qu’elle comptait à fin 2019.

Elle consacre 9,6 milliards de dirhams pour servir des allocations dérisoires: 71% de l’ensemble des pensionnés perçoivent une retraite inférieure à 2.000 dirhams, alors que la pension moyenne servie par la CNSS en 2019 s’est élevée à peine à 1.648 dirhams. Il ne faut pas donc trop espérer que les futurs 5 millions de retraités puissent avoir une allocation supérieure, même si l’Etat devrait y consacrer un budget annuel de 16 milliards de dirhams. La protection sociale est censée être généralisée, sauf que ses dispositions devraient rester modestes. Mais c’est déjà ça…

Par Fahd Iraqi
Le 10/03/2021 à 09h20