Depuis le début de la pandémie, le Maroc emprunte à tour de bras auprès des banques de développement (infographie)

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Depuis le début de la pandémie, le Maroc multiplie les emprunts en devises auprès des banques de développement, qu’elles soient internationales ou régionales. Le gouvernement a déjà emprunté 13 milliards de dirhams auprès des principaux bailleurs de fonds partenaires. Explications.

Le 08/09/2020 à 13h51

Pour contenir la propagation du Covid-19 et en atténuer les conséquences économiques et sociales, le Maroc a besoin de fonds, de beaucoup de fonds. Le gouvernement a dans ce sens fait le choix de recourir à un endettement massif pour financer son programme de lutte contre le coronavirus, et pallier le choc sur les entrées de devises.

La situation des réserves internationales du Maroc devrait en effet connaître une baisse importante, en raison de l'impact de la crise sur plusieurs secteurs pourvoyeurs en devises, en particulier le secteur du tourisme, les Investissements directs étrangers (IDE) et les secteurs exportateurs, en plus des transferts de fonds des Marocains résidant à l'étranger. 

Dès le 8 mai 2020, Mohamed Benchaâboun, ministre de l’Economie et des finances, s’est donné les moyens de recourir à davantage de financement en devises, en faisant adopter par le Parlement le projet de loi 26.20 portant approbation du décret-loi relatif au dépassement du plafond des emprunts extérieurs.

Ce décret-loi crucial autorise le gouvernement à dépasser le plafond des financements extérieurs de 31 milliards de dirhams par rapport à ce qui était fixé dans la loi de finances pour l’année budgétaire 2020. Objectif: assurer ses emprunts en devises, que ce soit à travers des emprunts sur le marché international, ou auprès des partenaires bilatéraux du Royaume ou des bailleurs de fonds. «Un niveau suffisant de devises est une garantie de souveraineté», avait à cette occasion martelé Mohamed Benchaâboun.

En attendant la sortie à l’international prévue au cours de ce mois de septembre, qui devrait permettre de lever près de 2 milliards de dollars, le gouvernement multiplie les emprunts en devises auprès des banques de développement, qu’elles soient internationales ou régionales.

A ce titre, l’argentier du Royaume a, dès le début de la crise, lancé les consultations avec les principaux prêteurs, qu'ils soient bilatéraux, ou multilatéraux, tels la Banque Mondiale, la Banque africaine de développement (BAD), des fonds arabes et islamiques et la Banque européenne d'investissement (BEI), pour déterminer les montants supplémentaires pouvant être mobilisés au-delà de ceux qui étaient programmés avant la pandémie.

Il faut dire que le Maroc a toujours été un bon client de ces institutions, un pays en développement, solvable, et qui rembourse. Il n’a donc eu aucun mal à emprunter la bagatelle de 13 milliards de dirhams auprès des principaux bailleurs de fonds partenaires. Ces fonds sont entièrement dédiés à la lutte contre la propagation du coronavirus et à améliorer davantage l’efficacité de la réponse sanitaire des autorités.

Dans l’infographie ci-dessous, les prêts accordés pour des raisons autres que la lutte contre la pandémie n’ont pas été pris en compte, comme c’est le cas pour le prêt de 700 millions d’euros de l’Allemagne au Maroc contracté en juillet dernier. Ce prêt, pour rappel, était destiné à accompagner le Maroc dans sa dynamique des réformes engagées, notamment en matière financière, d'amélioration du climat des affaires et de l'investissement, et de renforcement de la régionalisation avancée.

Par ailleurs, 3 milliards de dollars ont été tirés, début avril, sur la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) du Fonds monétaire international (FMI). Rappelons en effet que le tirage sur cette ligne de liquidité est mis à la disposition de Bank Al-Maghrib et affecté essentiellement au financement de la balance des paiements et n’impactera pas la dette publique.

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La dette publique s’envole Pour faire face à cette crise sans précédent, le Maroc emprunte à tour de bras, quitte à détériorer significativement l’équilibre de ses finances publiques. Au rythme où vont les choses, les indicateurs d’endettement de l’Etat vont grimper de manière vertigineuse, d’autant que les recettes fiscales de l’Etat sont en forte baisse. Selon les projections du Haut-Commissariat au Plan (HCP), le déficit budgétaire devrait s'accentuer en 2020 pour atteindre près de 7,4% du PIB, dépassant largement le niveau atteint en moyenne annuelle entre les années 2011 et 2013, soit 6,1% du PIB.

L’endettement global du Trésor devrait, lui, s’aggraver de 10 points, passant de 65% du PIB à près de 75%. La composante extérieure de cette dette passerait de 14% du PIB en 2019 à 17,6% en 2020 et à 18,6% en 2021, selon la Banque centrale.

Pire: la dette publique globale dépasserait le seuil de 90% du PIB en 2020, en hausse de près de dix points par rapport à un an auparavant.

Bien qu’un tel niveau d’endettement soit inquiétant pour un pays comme le Maroc, certains économistes nuancent leur analyse. Pour Yasser Tamsamani, économiste chercheur affilié à l’OFCE, la hausse des ratios d’endettement (dette du Trésor/PIB et dette publique/PIB) s’explique aussi par la baisse du dénominateur de ces ratios, à savoir le PIB. «Une reprise de la croissance en 2021 et donc une hausse du PIB, va mécaniquement améliorer les ratios d’endettement du pays», indique-t-il. 

Par ailleurs, pour arrêter l’hémorragie, la majorité des Etats du monde se trouvent contraints de creuser leurs déficits. Dans un contexte comme celui qui nous vivons, ne pas s’endetter reviens à faire moins de croissance et donc à accentuer les déficits, et entrer dans un cercle vicieux.

En réalité, la hausse de la dette n’est pas un problème en soi, mais c’est l’usage qui est en fait qui importe, analyse Yasser Tamsamani. Selon qu’elle est servie à financer la «consommation sèche» ou les «investissements productifs», les effets d’entraînements sur l’économie et l’emploi ne seront pas les mêmes.

Le plan de relance du Maroc, qui est en cours d'élaboration, ne devra donc pas se tromper sur les choix qui seront faits en matière d’allocation des ressources. Dans le cas contraire, notre économie court au-devant de grandes difficultés.

Par Amine El Kadiri et Youssef El Harrak
Le 08/09/2020 à 13h51