Enquête. Les non-dits d’un rapport «téléphoné» contre l’ANRT

L'Agence nationale de réglementation des télécommunications

L'Agence nationale de réglementation des télécommunications . DR

Une agence de relation média travaillant pour Maroc Telecom fait la promo dans les salles de rédaction d’un obscur rapport accablant pour l’agence de régulation du secteur. Certains y voient le dernier soubresaut de l’opérateur historique dont l’hégémonie sur le marché est en cours de démantèlement.

Le 27/01/2015 à 12h30

Un professeur tchèque, enseignant dans une université sud-coréenne, qui publie une recherche dans un institut indonésien, financée par des fonds australiens, pour descendre en flamme la gouvernance du secteur des télécommunications marocains... Allez comprendre l'intérêt pour le moins surprenant de cette «coalition internationale» vis-à-vis des télécoms au Maroc dans un contexte où ce secteur entame un virage des plus stratégiques!

Intitulé «comprendre le paysage concurrentiel des télécommunications au Maroc et ses conséquences socio-économiques», cette recherche est un pamphlet contre le gendarme marocain du secteur des télécoms: l’Agence nationale de réglementations des télécoms, ANRT de son petit nom. Cette institution en prend pour son grade le long de ce rapport d’une quarantaine de pages qui au final ne fait qu’une description grossière et superficielle de ce secteur. L’agence dirigée par Azdine Montassir Billah manque selon cette note (qui n’a rien de stratégique) «de clarté concernant les conditions réglementaires à venir». Pis encore, les «politiques actuelles de l'ANRT semblent avoir été principalement motivées par son objectif à court terme d'accroître la concurrence statique entre les trois principaux fournisseurs». Et le bouquet final: «Un autre point faible du rôle de l'ANRT sur le secteur est représenté par le manque de transparence de son processus décisionnel».

En revanche, si une structure trouve grâce aux yeux de Vladimir Hlasny, auteur du rapport, c’est bien l’opérateur historique du marché marocain, Maroc Telecom. L’entreprise dirigée par Abdeslam Ahizoune –véritable highlander dans ce secteur dont il était même ministre à une époque et a contribué à la rédaction de sa loi fondamentale – est en effet présentée sous son meilleur jour. A en croire la note stratégique, IAM est la seule société à investir dans le secteur, alors que les autres ne font qu'exploiter ses infrastructures. «Maroc Telecom s'est engagé, par accord, sur un montant de 10,08 milliards de MAD en faveur de l'expansion de l'infrastructure existante (…). Pourtant, il existe peu d'informations sur la manière dont les deux autres fournisseurs voudront partager le coût de la mise en place du réseau, de sa construction et de son entretien», peut-on lire dans la note éditée par l'institut indonésien Intitute for International Studies (IIS).

Lobbying de mauvaise facture?

Les mauvaises langues peuvent supposer que ce rapport aurait pu être commandé indirectement par Maroc Telecom. L’opérateur historique en a même besoin dans un contexte où il joue un dernier coup de poker menteur face à une ANRT plus déterminée que jamais à faire sauter les derniers verrous du monopole historique, comme en témoignent ses dernières décisions sur le partage des infrastructures de génie civil ou encore le dégroupage des boucles locales. C’est ce qui explique sans doute pourquoi une agence de relation presse travaillant pour Maroc Telecom fait la promo dans les salles de rédaction de ce rapport accablant pour l’agence de régulation marocaine.

Certains constatent même que l’institut de recherche est basé dans un pays où la maison mère d’IAM, l’émirati Etissalat, compte comme filiale un des opérateurs télécoms les plus influents. Surtout quand on sait que XL, la filiale indonésienne d’Etissalat, est liée à l’université Gadjah Mada qui abrite le fameux IIS. Des lauréats de cette faculté participent, en effet, à un programme financé par l’opérateur télécom indonésien.

La théorie du lobbying de mauvaise facture orchestrée par IAM pourrait même être renforcée quand on sait que l’institut indonésien qui semble subitement s’intéresser aux télécoms au Maroc n’est pas connu pour une production prolifique en termes de recherche. Sur son site internet, on constate que ce «monograph» est le deuxième du genre publié par l’IIS. Et tandis que le premier n’est disponible qu’en indonésien et que sa consultation en ligne coûte 33.000 Rupiah (2,5 euros), «comprendre le paysage concurrentiel des télécommunications au Maroc et ses conséquences socio-économiques» (le rapport contre l’ANRT) est disponible en version anglaise et française et accessible en libre téléchargement. Par ailleurs, l’IIS se présente sur son propre site comme un institut qui finance la majorité de ses projets grâce à un soutien financier d’autres institutions, mais bien entendu prend la précaution d’usage en précisant que «les fonds accordés à l’IIS par des partenaires ne sauraient en aucune manière interférer avec l’indépendance et l’objectivité des œuvres de l’IIS». On aurait bien aimé connaître exactement la provenance des fonds qui ont contribué à financer ce rapport gracieusement offert par l’IIS. Cette question parmi tant d’autres, Le360 l’a adressée à cet institut dépendant de l’université Gadjah Mada. Mais nos e-mails sont restés lettre morte.

Contacté par Le360, le professeur Vladimir Hlasny a bien voulu répondre à quelques-unes de nos questions. Sans nous révéler précisément ses émoluments de chercheur, il nous donne une indication sur l’origine des fonds qui l’ont payé pour cette note. «C’est un travail purement académique qui a bénéficié d’un financement d’une université australienne», nous répond le professeur Hlasny qui se présente comme guest-blogger sur le site de la Banque mondiale, alors que ses écrits pour l'institution se limitent à un orphelin papier (en deux parties) sur «la mesure des inégalités en Egypte». Et encore, c’est un papier co-écrit avec Paolo Verme, spécialiste senior à la Banque Mondiale en matière de pauvreté. Dans les quelques travaux que nous cite le professeur Hlasny, il s’avère que le travail mené pour IIS est le premier traitant du marché des télécoms. Et il admet sans vergogne qu’il n’a jamais mis les pieds dans le royaume pour peaufiner cette recherche qui aurait duré six mois, selon ses dires. «J’ai travaillé avec un collègue qui parle français et qui m’a assisté pour l’obtention et la traduction des rapports les plus importants», nous explique Hlasny.

Ce collègue français comme le traducteur du rapport de Hlasny ne sont cités nulle part. Peut-être ont-ils eux-mêmes délibérément choisi de ne pas associer leur nom à une recherche orientée à seule fin de jeter le discrédit sur l’ANRT, qui se démène pour gérer des dossiers cruciaux pour le secteur: partage des infrastructures, dégroupage des boucles locales, appels d’offre pour les licences 4G, sans parler de l’adoption d’une nouvelle loi des télécoms… Autant de chantiers qui, rappelons-le, ne font pas le bonheur de l’opérateur historique, Maroc Telecom!

Par Fahd Iraqi
Le 27/01/2015 à 12h30