Entretien. Covid-19: les banques sous le feu des critiques. La BCP apporte son éclairage

Jalil Sebti, directeur général de la banque de détail du groupe BCP.

Jalil Sebti, directeur général de la banque de détail du groupe BCP. . DR

Dans cet entretien, Jalil Sebti, DG de la banque de détail du groupe BCP nous parle du dispositif mis en place pour assurer la continuité de service pendant le confinement. L’occasion de faire le point sur les mesures de soutien aux particuliers et aux entreprises impactés par la crise du Covid-19.

Le 14/05/2020 à 14h53

Le Maroc traverse une crise sanitaire sans précédent. Comment la Banque Populaire a-t-elle réagi à cette crise sur le plan organisationnel?

La Banque Populaire a réagi avec célérité en déployant un dispositif permettant la continuité de l’activité, adapté au contexte actuel, aidée en cela par la gestion remarquable de la crise par l’Etat.

Le dispositif a d’abord consisté au maintien de l’ensemble des agences ouvertes au public et à l’approvisionnement sans interruption des guichets automatiques bancaires et des agences en cash, permettant de préserver les niveaux de liquidité requis pour les besoins des ménages et des entreprises. Il est à noter également que l’ensemble des opérations bancaires ont continué à être assurées.

Il s’est également traduit sur le plan humain, par une forte mobilisation pour accompagner les initiatives gouvernementales et pour servir l’ensemble des citoyens avec agilité et dans un esprit de citoyenneté, de proximité et de solidarité; ainsi que par la rotation des équipes en présentiel, congé et télétravail au niveau des sièges, en central et dans les régions, avec la mise à disposition d’outils facilitant le travail à distance.

Enfin, un dispositif sanitaire complet a été déployé pour protéger les collaborateurs et servir les citoyens dans les meilleures conditions, tout en incitant nos clients à utiliser les canaux à distance (digital, Centre de relation client, etc.).

Quelles sont les initiatives et les mesures prises dans le cadre de la digitalisation?

La digitalisation a toujours représenté un axe fort pour la Banque Populaire. Elle a été accélérée pendant la crise afin de faciliter et de maintenir pour notre clientèle, aussi bien particuliers qu’entreprises, l’accès aux services bancaires dans un contexte de confinement.

Dès le début du confinement, nous avons constaté un accroissement de l’usage de nos canaux de la banque en ligne de plus de 20% par les clients, ayant recours aux services de la banque au quotidien (virements, transferts cash, paiements de factures…).

La Banque Populaire a, à ce titre, offert la gratuité des opérations de l’ensemble des canaux digitaux à ses différents segments de clientèle (particuliers, Marocains du monde, entreprises) et a réalisé des vidéos didactiques pour en faciliter l’usage. Dans le même élan, nous comptons aller plus loin dans l’accompagnement de nos clients, en proposant, dès les prochaines semaines, de nouveaux services bancaires qui viendront enrichir et faciliter l’usage de nos canaux digitaux.

La Banque Populaire a joué un rôle clé dans l’opération de distribution des aides financières mobilisées à travers le Fonds spécial Covid-19. Concrètement, quel a été l’apport de la banque, notamment en sa qualité de chef de file désigné par le Comité de veille économique?

La citoyenneté constitue une valeur forte de la Banque Populaire, et c’est tout naturellement qu’elle s’est engagée dans cette mission d’intérêt général, dans les meilleures conditions.

La Banque Populaire a, pour sa part, mobilisé plus de 3.000 points de service à travers ses différents réseaux bancaires, Chaabi Cash, Tasshilat et Attawfiq Micro-Finance.

Cela a permis à la banque, à travers ces différents réseaux, de jouer un rôle primordial et de servir ainsi, plusieurs centaines de milliers d’aides en faveur des ménages du secteur informel.

Malgré les mesures introduites pour soutenir le crédit (triplement du refinancement de BAM, Damane Oxygène), les entreprises reprochent aux banques leur frilosité en cette période de crise. Qu’en pensez-vous?

Le dispositif de soutien aux entreprises impactées par les effets de la crise liée au Covid-19 a été mis en place il y a quelques semaines en plein confinement, induisant une forte demande des clients et le traitement en priorité des demandes de reports d’échéances de crédit, puis la mise en place du produit «Damane Oxygène». Ce pic d’activité a été pris en charge par les équipes et a nécessité une adaptation des dispositifs de traitement dans de très courts délais.

Les critères d’éligibilité ont été définis par le CVE pour permettre aux entreprises touchées par la crise du Covid-19 de bénéficier du support du Fonds spécial créé à cet effet.

Au-delà des découverts accordés dans le cadre du produit «Damane Oxygène», la banque a également proposé de nouvelles solutions de financement pour accompagner les besoins de ses clients.

A date d’aujourd’hui, une enveloppe de plus de 10 milliards de dirhams a été consacrée à l’accompagnement de près de 5.000 entreprises, dont une majorité de TPE.

S’agissant des reports, il est à noter que nous avons atteint 85.000 demandes traitées en faveur des entreprises et des particuliers.

Le secteur bancaire s’est retrouvé au centre d’une polémique au sujet du report des échéances bancaires, avec ou sans frais et intérêts. Quelle lecture faites-vous de ce moratoire?

Le report des échéances de crédits a été réalisé sans facturation des frais de dossiers afférents à l’étude et au traitement, et des pénalités de retard qui majorent le crédit en cas de retard de paiement d’échéances, suivant le calendrier d’amortissement convenu entre les parties.

Quant aux intérêts intercalaires, ils sont pris en charge par le client, à l’instar des pratiques internationales, dans la mesure où les banques supportent pendant la période de crédit les coûts liés au refinancement (c’est-à-dire au prêt contracté par la banque pour accorder les crédits à la clientèle), les coûts de gestion des crédits ainsi que le coût du risque qui traduit le défaut du client et son incapacité à assurer le paiement de ses échéances. Ce risque est d’autant plus important que le crédit couvre une longue période, dans un contexte économique qui n’est, de surcroît, pas favorable actuellement.

Cependant, suite à la décision récente du CVE, une nouvelle mesure exceptionnelle a été mise en place pour la prise en charge des intérêts intercalaires dans le cadre du report des échéances de crédits pour les clients particuliers, sur une durée de quatre mois, de mars à juin 2020. Elle concerne les clients dont les revenus ont été impactés du fait de l’état d’urgence sanitaire décrété, et qui disposent d’échéances de crédits logements inférieurs à 3.000 dirhams et/ou d’échéances de crédits à la consommation inférieurs à 1.500 dirhams.

L’agence Moody's a révisé récemment les perspectives du système bancaire marocain de «stables» à «négatives» et s’attend à une diminution de la rentabilité, en lien avec une hausse sensible des créances en souffrance sous l’effet de la crise du Covid-19. Partagez-vous ces projections. Quelles sont vos prévisions pour 2020 ?

Il est certain que ce sera une année difficile pour le secteur bancaire. Les banques font partie d’un écosystème et seront forcément impactées par la situation des clients, particuliers comme entreprises, en fonction de leurs expositions sectorielles. Les impacts du Covid-19 se font d’ores et déjà ressentir sur notre activité commerciale, et se feront d’autant plus ressentir avec l’impact lié à la hausse des créances en souffrance et le coût du risque.

Ce constat reste néanmoins à nuancer. Les banques ont entamé cette crise sur des bases solides, grâce notamment au niveau de leurs fonds propres, et à un provisionnement prudent permettant de faire face aux chocs et aux incertitudes. La capacité des banques à assurer la liquidité nécessaire et à poursuivre leurs activités a été prouvée une fois encore pendant cette crise. Cela démontre une résilience du secteur bancaire, qui repose sur des fondamentaux solides, dans l’intérêt du système bancaire et financier national.

Concernant les perspectives, et eu égard aux répercussions mondiales de cette crise dont les retombées ne peuvent être à ce stade totalement appréhendées, il est difficile aujourd’hui de préjuger de ce que sera le monde de demain. Mais nous savons que nous sommes plus que jamais engagés et mobilisés dans le sillage du plan de relance de l’Etat afin de préserver notre tissu économique. Dans de telles conditions, je dirais qu’il y a lieu aujourd'hui de repousser plus loin la frontière de notre imagination en nous réinventant, et en impulsant de l’innovation, source de progrès et de prospérité du système bancaire et financier.

A cette occasion, je tiens à remercier et à rendre hommage à nos Femmes et Hommes qui ont su relever le challenge, avec engagement. En œuvrant au quotidien et sans relâche, pour servir nos clients et nos concitoyens dans la plus grande proximité, ils ont fait preuve de beaucoup de professionnalisme et d’un sens profond des responsabilités. Ma pensée va également à tous ceux qui veillent dans les coulisses à assurer cette continuité dans les meilleures conditions.

Par Wadie El Mouden
Le 14/05/2020 à 14h53