Entretien. Emma Navarro, vice-présidente de la BEI: «nous sommes prêts à soutenir le Fonds d’Investissement stratégique»

Emma Navarro, vice-présidente de la Banque européenne d’investissement (BEI) en charge des activités de la Banque au Maghreb.

Emma Navarro, vice-présidente de la Banque européenne d’investissement (BEI) en charge des activités de la Banque au Maghreb. . DR

Secteur privé, système de santé, agriculture, bio-économie, infrastructures: les financements de la Banque européenne d’investissement au profit du Maroc se sont multipliés depuis le début de la crise sanitaire. La BEI se dit prête à apporter sa contribution au Plan de relance économique du Royaume.

Le 13/10/2020 à 12h12

La BEI vient d’accorder un prêt de 200 millions d’euros au Crédit Agricole du Maroc. Quels sont les objectifs de ce prêt et qui vise-t-il au juste?Ce prêt de 200 millions d’euros vise à renforcer le soutien aux entreprises marocaines dans le secteur de la bio-économie et de l’agriculture. Ces deux secteurs sont au cœur de la croissance économique et de la cohésion sociale du Royaume, particulièrement en milieu rural. C’est pour cela que nous y accordons une importance particulière. Il ne faut pas oublier, non plus, l’impact non négligeable de ces deux secteurs sur la sécurité alimentaire du pays, d’autant plus important dans un contexte de pandémie du Covid-19 et de sécheresse.

Le soutien au secteur privé est au cœur de notre action au Maroc. Nous finançons bien évidemment les grandes entreprises, moteurs de croissance, mais nous soutenons aussi et surtout les petites entreprises (PME) et les entreprises à taille intermédiaire (ETI). Dans le cas précis de ce partenariat avec le Crédit Agricole du Maroc, nous apportons notre appui aux PME et aux ETI opérant dans le secteur agricole et le secteur de la bio-économie afin de contribuer à la relance économique du Maroc. Ce sont aujourd’hui 6.500 entreprises qui devraient bénéficier de ce soutien, avec à la clé, le maintien de 37.000 emplois directs et indirects.

La BEI a également débloqué, récemment et «en un temps record», un prêt de 100 millions d’euros au Maroc pour s’équiper en matériels médicaux. Pourquoi ce caractère «urgent» et peut-on avoir plus de détails sur les conditions du prêt?Face à une crise sanitaire d’une telle ampleur, il fallait réagir vite et de manière exceptionnelle. C’est tout l’objectif de la réaction européenne commune («Team Europe») dont la BEI fait intégralement partie, s’étant engagée sur un effort sans précédent de l’ordre de 5.2 milliards d’euros d’investissements hors Europe. Pour ce faire, nous avons assoupli nos procédures pour débloquer très rapidement des financements. Nous avons adapté nos outils et moyens de financement. En un temps record, nous avons mis à disposition des autorités marocaines une première enveloppe de 100 millions d’euros sur les 200 millions d’euros octroyés, afin que le Royaume puisse s’équiper de matériel médical tout en renforçant ses capacités hospitalières. L’enjeu d’une telle réactivité était de pouvoir aider le Maroc à lutter efficacement contre le coronavirus et à en limiter ses effets.

Notre action ne s‘est d’ailleurs pas limitée au seul secteur de la santé. Dès le début de la pandémie, nous avons apporté un soutien renforcé au secteur privé via un déboursement accéléré de prêts et une mobilisation rapide de lignes de crédit existantes pour libérer les fonds de roulement nécessaires aux entreprises en difficulté. Nous avons ainsi injecté plus de 500 millions d’euros pour venir en aide aux entreprises marocaines manquant de liquidités.

Quant aux conditions du prêt, j’aimerais préciser que, grâce à sa notation financière «AAA», la meilleure sur le marché aujourd’hui, la BEI accorde des financements à des conditions financières attractives, le cas échéant accompagnés d’appuis techniques.

Un deuxième versement de 100 millions de dirhams est prévu. Quand ce versement pourrait-il intervenir?Comme je vous le disais précédemment, la première tranche a été débloquée dans un temps record, afin de faire face au contexte de crise. La deuxième tranche interviendra très prochainement en fonction des besoins du Maroc, mais aussi en fonction de l’état d’avancement du projet financé.

Que prévoit la BEI en termes de soutien au système de santé marocain? Quelles actions ont déjà été menées dans ce sens?En plus du soutien apporté à la crise Covid-19, 70 millions d’euros de financements ont été consacrés à la construction et la modernisation de 16 hôpitaux dans l’ensemble du Royaume, avec des équipements à la pointe de la technologie pour plusieurs hôpitaux et des infrastructures adaptées qui permettent au personnel de travailler dans de meilleures conditions.

Avec l’appui de l’UE, la BEI a également apporté un appui de taille à l’Université EuroMed de Fès afin que cette université puisse assurer l’achat de matériel informatique et ainsi permettre aux étudiants de suivre leurs cours à distance. Cet appui a également permis la fabrication des masques à destination du personnel de santé, grâce à des imprimantes 3D.

La BEI a multiplié ces derniers temps les financements au profit du Maroc, en particulier au secteur privé. Quels résultats ont-ils donnés à ce jour?Le secteur privé est au cœur du développement économique d’un pays. Il crée de la valeur, des richesses et de l’emploi, contribuant ainsi à améliorer la qualité de vie des citoyens. C’est la raison pour laquelle la BEI accorde une attention particulière à l’investissement comme à l’inclusion économique et sociale d’un pays. La Banque appuie différents projets, que ce soit au profit des grandes entreprises, des PME ou TPE dans l’ensemble du Royaume.

La BEI a ainsi investi depuis 2014 près de 800 millions d’euros dans le secteur privé, permettant le maintien ou la création d’un total de 65.000 emplois.

De manière plus globale, comment jugez-vous la situation actuelle du Maroc, d’un point de vue économique? La BEI compte-t-elle appuyer le plan de relance préparé par le gouvernement marocain? Si oui, sous quelles formes?Le plan de relance de 120 milliards de dirhams, annoncé par Sa Majesté le Roi du Maroc, dresse les priorités d’intervention du Royaume pour amorcer une reprise économique durable en prenant en compte plusieurs dimensions. C’est un plan que la BEI soutient, c’est pourquoi nous nous mettons à disposition des autorités marocaines pour les accompagner dans la concrétisation de ce plan de relance en mettant toujours le citoyen marocain au centre de notre réflexion. Nous travaillons également très étroitement avec la Commission Européenne, et notamment la délégation de l’Union Européenne au Royaume du Maroc, pour articuler au mieux nos appuis aux secteurs prioritaires du pays dans les prochaines années.

Face aux défis auxquels le Royaume est actuellement confronté, la BEI reste mobilisée pour renforcer le tissu économique, qui a besoin non seulement de financements à taux réduits mais aussi de mécanismes de garanties adaptés. Nous continuons également à soutenir les Etablissements et Entreprises Publics qui jouent un véritable rôle de locomotives pour la croissance économique. Quant au Fonds d’investissements stratégiques (soit le Fonds Mohammed VI pour l’Investissement, Ndlr) nouvellement créé pour accompagner les grands investissements stratégiques du Royaume, la BEI est prête à le soutenir aux côtés des autres institutions financières.

Comment voyez-vous l’évolution du partenariat Maroc-BEI? Quelle est la particularité de la BEI par rapport aux autres banques de développement?C’est un partenariat auquel nous sommes fortement attachés. Il y a un incontestablement un lien fort de confiance entre les Marocains et la BEI, et celui-ci perdurera à l’avenir. En cette période de pandémie, nous sommes plus que jamais à l’écoute des Marocains pour les soutenir dans leur quotidien comme dans la relance de l’activité économique du pays par des financements ciblés. Nous y travaillons activement en étroite collaboration avec nos collègues de la Commission Européenne et des Etats Membres de l’UE.

Je rappellerais juste que depuis 2007, nous avons dédié plus de 5 milliards d’euros d’investissements au Maroc, dont 30% dédiés au seul secteur privé. La BEI a également soutenu fortement le secteur public avec des projets d’infrastructures d’envergure ayant un réel impact sur les populations tels que le tramway de Rabat, les complexes solaires de Ouarzazate et de Midelt ou encore les 2.095 km de routes financées dans l’ensemble du Maroc.

La force d’action de la BEI, c’est assurément son expertise financière et technique avec ses équipes d’ingénieurs, son expérience aguerrie au Maroc et dans l’ensemble de la région, sa signature et sa force de frappe financière, son réseau également avec ses nombreux partenaires comme les banques de développement, avec lesquels nous finançons conjointement des projets.

A travers nos différentes actions et outils déployés, la BEI met l’humain au centre de sa réflexion et de son engagement. Là est la valeur ajoutée de l’action de la Banque de l’Union européenne.

Par Amine El Kadiri
Le 13/10/2020 à 12h12