Entretien. L'emprunt international, décrypté par la directrice du Trésor, Fouzia Zaaboul

Cheville ouvrière de l’opération: Fouzia Zaaboul, directrice du Trésor (au milieu); Elhassan Eddez, adjoint au directeur, chargé du pôle dette (à gauche); Abdelhakim Jouahri, chef de division du marché financier international et de la gestion des risques (à droite).

Cheville ouvrière de l’opération: Fouzia Zaaboul, directrice du Trésor (au milieu); Elhassan Eddez, adjoint au directeur, chargé du pôle dette (à gauche); Abdelhakim Jouahri, chef de division du marché financier international et de la gestion des risques (à droite). . DR

Le timing, un montant limité à un milliard d’euros, la prime de risque, etc. Dans cet entretien, la directrice du Trésor et des finances extérieures, Fouzia Zaaboul, revient sur les objectifs et la stratégie adoptés par le Maroc lors de sa dernière sortie sur le marché financier international.

Le 05/10/2020 à 11h45

Quelle analyse faites-vous des résultats de ce nouvel emprunt international?De mon point de vue, qui est aussi celui de nombreux acteurs, c’est un succès remarquable. Le crédit du Maroc est toujours là malgré la crise du Covid-19 et ses conséquences sur l’économie marocaine. Les investisseurs font confiance au Royaume et tout le mérite revient aux atouts dont il dispose: la stabilité politique dont il jouit, la crédibilité de ses politiques économiques et surtout de ses engagements. Mais il est toutefois vrai qu’il y a eu une véritable stratégie d’approche du marché, notamment en termes de timing d’annonce.

S’agissant du timing, nous n’étions pas sortis aux mois de mars et de mai, même si nous étions prêts du point de vue de la documentation. Les conditions de marché n’étaient pas favorables à ces périodes. Nous avons attendu pour choisir le bon timing d’exécution, en capitalisant sur la bonne performance de nos titres obligataires internationaux sur le marché secondaire.

En effet, le spread de l’émission de 2019 qui était une référence importante pour les investisseurs dans le cadre de cette émission était de l’ordre de 200 points de base (bps) le jour du lancement [de l'eurobond, Ndlr], soit un niveau proche du point le plus bas dans l’environnement Covid-19 alors qu’il avait atteint la barre des 300 bps au cours des mois de mars et mai.

Toujours par rapport à la stratégie d’approche du marché, nous avons calibré le timing de cette sortie de manière à faire coïncider, à un jour d’intervalle près, l’encaissement des fonds avec le renouvellement de l’échéance de l’emprunt de 2010, de manière à éviter un risque de change important.

Enfin, du point de vue des conditions financières de l’émission, son succès se reflète aussi à travers son coût très favorable. La tranche de 10 ans est assortie d’un coupon de 2% et la tranche de 5,5 ans est assortie du coupon le plus bas jamais obtenu par le Maroc sur le marché financier international (1,375%).

Alors qu’on s’attendait à une levée de 2 milliards d’euros, le Trésor s’est contenté d’un milliard d’euros. Pourquoi?

Si vous le permettez, et puisque c’est une question qui est revenue plusieurs fois, je pense qu’il serait utile d’apporter quelques éléments d’éclairage. Comme vous le savez, plusieurs raisons expliquent une émission sur le marché financier international surtout pour un émetteur non fréquent. Cela peut être la volonté de renouer le contact avec les investisseurs qui détiennent du papier Maroc pour les fidéliser et pour soutenir la valeur de ce papier sur le marché secondaire, ou encore exprimer une volonté d’explorer de nouveaux horizons pour élargir la base d’investisseurs. Cela peut être aussi motivé par le renforcement de nos réserves de change ou le renouvellement d’une dette qui arrive à maturité. Chacune de ces raisons détermine la stratégie d’approche du marché en termes de timing, d’annonce, de périmètre, etc.

Dans les premiers cas, nous faisons des road-shows relativement longs et suffisamment diversifiés, parfois sur plusieurs continents, comme ce fut le cas lors de l’émission en dollars américain, en 2012. Cela fut aussi le cas en novembre 2019, où nous avions visité plusieurs places financières européennes. Nous choisissons aussi le timing où le marché est relativement stable et profond.

Dans le second cas où le besoin est différent (en cas de renouvellement de la dette et de renforcement des réserves de change), les road-shows sont plus réduits dans le temps et dans l’espace, et notre besoin est annoncé dès le départ.

Lors de cette dernière émission, nous avons d’emblée annoncé au marché que nous comptions mobiliser uniquement 1 milliard d’euros et ce, en deux tranches de 500 millions d’euros chacune, pour des maturités 5,5 et 10 ans. Cela a été annoncé sur tous les écrans le 24 septembre, avant le pricing, et avant même de commencer à recevoir des offres.

Donc notre intention était claire et précise dès l’annonce de la transaction. Certes, la demande des investisseurs était de 2,5 milliards d’euros, ce qui est à mon sens un book satisfaisant dans ce contexte particulièrement difficile du marché. Mais comme vous le savez, plus on pousse le curseur vers le bas pour réduire le spread et donc réduire le coût pour nous, plus le nombre d’investisseurs diminue et, par conséquent, la taille du book diminue. En d’autres termes, chercher à avoir un book plus important aurait demandé des concessions sur le spread et ce n’était pas du tout notre objectif. 

Pouvez-vous nous dire ce qui a motivé cette stratégie? Je vous répondrai que le but de cette émission était le renouvellement de l’échéance de 2010, sans puiser sur le matelas de nos avoirs extérieurs. Comme vous le savez, dès que la crise sanitaire a éclaté, nous avons mis le cap sur la mobilisation des financements extérieurs pour constituer un matelas de réserves de change confortable. Aujourd’hui nous disposons de l’équivalent de plus de 7 mois d’importation en devises.

Le Trésor a tiré, entre le 1er avril et le 30 septembre 2020, environ de 23,4 milliards de dirhams, sans compter les 30 milliards de dirhams de la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) mis à la disposition de Bank Al-Maghrib. Durant la même période en 2019, le Trésor n’a tiré que près de 11 milliards de dirhams, contre seulement 3 milliards de dirhams en 2018. Voilà pourquoi nous n’avons levé que 1 milliard d’euros.

Je peux comprendre qu’il y ait eu une attente pour lever plus, du fait de l’état de la liquidité du système bancaire. Mais là, il faut faire le bon diagnostic, pour être sûr d’apporter la réponse adéquate. La pression sur la liquidité ne résulte pas d’une ponction sur les avoirs extérieurs comme ce fut le cas en 2012 et 2019, par exemple, mais plutôt d’une augmentation très importante de la circulation fiduciaire et pour cela, c’est le retour de la liquidité dans le circuit bancaire qui réduira la pression.

Quelle interprétation faites-vous de l’augmentation de la prime de risque, en comparaison avec la précédente sortie du Trésor sur le marché international?

Pour bien apprécier le niveau des spreads de l’emprunt 2020, il faut tout d’abord rappeler que l’émission 2019 a été réalisée avant l’éclatement de la pandémie du Covid-19. Comme vous le savez, le monde d'avant le Covid-19 n’a rien à voir avec celui de l'après Covid-19. En effet, le contexte dans lequel est intervenue cette émission ne peut pas être comparé avec celui de 2019. Il s’agit d’un contexte marqué par une grande volatilité des marchés financiers et une aversion des investisseurs au risque assez prononcée, liée justement aux incertitudes sur l’évolution de la pandémie et son impact sur l’économie mondiale.

Pour vous donner quelques indicateurs, les spreads ont flambé pour l’ensemble des pays émergents, comme reflété par l’évolution de l’indice EMBI+ qui a atteint son niveau le plus élevé à 641 points de base le 23 mars, enregistrant ainsi une hausse de 339 bps par rapport au niveau du début de l’année.

Dans le même sillage, les spreads des Eurobonds Maroc se sont significativement élargis notamment le spread de l’émission lancée en 2019 qui a flambé à presque 300 bps contre 139 le jour de son lancement.

Je vous donne par ailleurs un autre indicateur pour illustrer la différence entre l’état du moral des investisseurs lors de l’émission de 2019 et lors de cette émission de 2020 et qui explique donc la différence entre les spreads de ces 2 émissions: il s'agit de l’indice de volatilité VIX. On le surnomme «l’indice de la peur». C’est un indicateur de volatilité du marché financier américain, mais qui donne le ton à toutes les autres places financières, notamment européennes et asiatiques.

Cet indice calcule le degré d’inquiétude des investisseurs sur les marchés. Plus cet indice est élevé, plus les investisseurs sont désorientés et développent une aversion envers le risque. Avec le coronavirus, cet indice a atteint les niveaux les plus élevés depuis la crise financière de 2008. Lors de l’émission de novembre 2019, la valeur de VIX a ainsi oscillé entre 12 et 15, alors qu’il était proche de 30 lors de l’émission de 2020.

Vers le mois d’avril, nous avons constaté une certaine amélioration des marchés soutenue par les plans de soutien aux économies et les mesures des banques centrales, mais nous avons choisi de patienter et de surveiller le marché pour saisir une meilleure opportunité qui permettrait d’obtenir des conditions plus favorables. Nous avons ainsi reporté à plusieurs reprises le lancement de cette émission, une première fois en mai, puis en juillet et ce, en raison du coût qui était encore élevé.

Le report au mois de septembre nous a ainsi permis d’économiser environ 115 bps en termes de coupons, aussi bien sur la maturité de 5,5 ans que celle de 10 ans. Autrement dit, lancées en mai ou juin, la tranche de 5,5 ans aurait été assortie d’un coupon de 2,5% contre 1,375%, et la tranche de 10 ans à 3,15%, contre 2%.

Quel en sera l'impact sur la dette extérieure et sur les réserves de change?

L’impact sur le stock de la dette extérieure est nul car, comme je l’ai précédemment mentionné, les fonds mobilisés à travers cette émission ont servi à rembourser une dette dans la même devise et du même montant. Ce qu’il faut cependant signaler, c’est qu’en termes de charges en intérêts, nous allons réaliser des économies de près de 300 millions de dirhams par année dans la mesure où nous avons remplacé une dette assortie d’un taux d’intérêt de 4,5% par une dette assortie d’un taux moyen de l’ordre de 1,8%. Pour ce qui est des réserves de change, et grâce à cette émission, nous avons annulé l’impact restrictif qu’allait avoir la tombée de 2020 sur les réserves de change.

En effet, nous avons fait le choix de mobiliser des fonds à travers cette émission pour rembourser une dette du même montant au lieu de puiser sur nos réserves de changes. Cette stratégie nous permet ainsi de maintenir nos réserves de change à un niveau confortable, surtout dans ce contexte incertain qu'est la crise du Covid-19.

A quand la prochaine sortie du Trésor sur le marché international?

Je tiens à préciser tout d’abord que le recours au marché financier international constitue l’une des sources de financement auxquelles nous recourrons pour financer les besoins du Trésor, à côté des autres bailleurs de fonds classiques et du marché domestique. La prochaine émission aura probablement lieu en 2021, mais son timing dépendra de l’évolution des conditions du marché, que nous suivons au jour le jour.

Par Wadie El Mouden
Le 05/10/2020 à 11h45