Exclusif. Voici pourquoi les cadres de Renault ont été autorisés à rentrer au Maroc

Usine de Renault à Tanger. 

Usine de Renault à Tanger.  . DR

On en sait plus sur les raisons qui ont poussé les autorités marocaines à autoriser le groupe Renault à affréter deux vols spéciaux pour transporter vers Tanger ses ingénieurs et techniciens depuis la France et la Roumanie.

Le 27/05/2020 à 14h19

Rapportée par certains médias nationaux et internationaux, l’information faisant état de vols spéciaux réservés exclusivement à un groupe de cadres de Renault Maroc, a fini par devenir virale sur les réseaux sociaux. Présentée comme un rapatriement privilégié, l’opération suscite un tollé sur les réseaux sociaux alors que 32.000 Marocains sont toujours bloqués à l’étranger depuis la fermeture de l’espace aérien à la mi-mars, en raison de la pandémie de Covid-19.

Pourtant, l’autorisation des vols affrétés par le constructeur français relève d’un choix stratégique pour l’économie marocaine, apprend Le360 de plusieurs sources concordantes.

En effet, Renault prévoyait de mettre fin, courant 2020, à deux de ses modèles fabriqués au Maroc. Le premier arrive à échéance en août (Dacia Dokker fabriqué à Tanger), le second en décembre (la Sandero diesel, produit phare de l’usine Somaca à Casablanca).

Ces deux modèles devraient d’ici là être remplacés, à l’image du Dacia Dokker qui, selon les indiscrétions sorties la semaine dernière dans certains médias français, sera remodelé et vendu sous le nom de Kangoo Express.

Bien avant la pandémie, le Maroc a obtenu la possibilité de remplacer ces deux modèles. Mais pour cela, l’appui technique de Renault Monde est indispensable, notamment pour apporter les modifications nécessaires à l’adaptation des lignes de production et assurer le transfert de savoir-faire et de compétences nécessaires vers le Maroc.

«Si ces ingénieurs n’étaient pas arrivés, les deux nouveaux modèles auraient été produits en Roumanie où l’équivalent des nouvelles lignes projetées à Tanger et à Somaca sont déjà installées. Cela aurait pu profiter à l’équipe roumaine de Renault qui serait tentée d’agrandir le site de Pitesti. Le Maroc avait jusqu’au 1er juin pour se prononcer. C’était à prendre ou à laisser», explique ce fournisseur de l’usine Renault de Tanger.

Autre détail important, les deux véhicules qui cesseront d’être fabriqués au Maroc d’ici la fin de l’année drainent respectivement 70% du chiffre d’affaires de l’usine de Tanger et 50% de celui de Somaca. C’est au moins 4.500 emplois directs et plus de 20.000 emplois indirects. A l’export, ces deux sites génèrent en devises l’équivalent de 36 milliards de dirhams par an, un montant qui dépasse celui emprunté récemment par le Maroc auprès du Fonds monétaire international (FMI), grâce à la Ligne de précaution et de liquidité (LPL).

Si l’on tient compte de ce qui précède, autoriser les vols spéciaux de Renault s’apparente davantage à une opération de sauvetage d’une partie très importante de l’industrie automobile marocaine et de tout l’écosystème qui en dépend. Laisser passer l’opportunité de capter ce nouveau marché aurait en effet mis en danger tout l’écosystème industriel de Renault, y compris les équipementiers qui alimentent les usines de Tanger et de Casablanca.

La substitution des deux modèles Dacia Dokker et Sandero est une bonne nouvelle en soi. Elle intervient à un moment crucial alors que des voix s’élèvent en France, appelant à une relocalisation de la production automobile. Lors de son discours prononcé hier dans l'usine de l'équipementier Valéo à Etaples, dans le nord de l'Hexagone, le président français Emmanuel Macron a déclaré vouloir «faire de la France le premier pays producteur de véhicules propres d'Europe», en dévoilant un plan de soutien de plus de 8 milliards d’euros.

Le locataire de l’Elysée a souligné que les constructeurs automobiles ont «pris une série d'engagements forts» consistant à «relocaliser la production à valeur ajoutée en France et maintenir la totalité de la production industrielle sur nos sites».

Les usines marocaines de Renault, de PSA et de Somaca ne sont pas concernées par ces propos qui ciblent plutôt les véhicules électriques produits essentiellement en Chine, explique une source proche de Renault Maroc. Au contraire, poursuit notre interlocuteur, la relocalisation de la production de véhicules propres en France arrange bien les intérêts du Maroc qui y voit une opportunité de faire fructifier le business, appuyé par un noyau solide d’équipementiers en mesure d’approvisionner l’industrie française en pièces détachées avec un bon rapport qualité-prix. Ajouter à cela le fait que le deal conclu par le Maroc avec les deux constructeurs français prévoyait l’introduction de modèles électriques. C’est le cas par exemple de la Citroën Ami qui sera bientôt fabriquée par PSA à Kenitra. D’autres modèles électriques sont en perspective chez Renault à Tanger.

La jeune industrie marocaine de l’automobile aura donc tout à gagner de la nouvelle cartographie qui se dessine à l’échelle internationale. Mais gardons à l’esprit qu’elle aurait pu être menacée si les ingénieurs et techniciens de Renault n’avaient pas été autorisés à venir installer les lignes indispensables à la fabrication des nouveaux modèles de la marque au losange.

À noter également que les cadres de Renault ont été soumis à des tests de dépistage et placés à l’isolement dès leur arrivée à Tanger, conformément aux mesures sanitaires imposées par les autorités marocaines. Les mêmes mesures ont été appliquées il y a quelques jours lors du rapatriement de centaines de Marocains depuis Sebta et Melilla. Sachant que le retour de l’ensemble de nos concitoyens bloqués à l’étranger, au nombre de 32.000, ne tardera pas à se concrétiser. Le dispositif est fin prêt et sera lancé dans quelques jours, nous confie une source diplomatique.

Par Wadie El Mouden
Le 27/05/2020 à 14h19