FISC360, EP9. Yasser Tamsamani: «taxer le patrimoine pour plus d’efficacité économique et de justice sociale»

Yasser Tamsamani, économiste affilié à l'Observatoire français des conjonctures économiques.

Yasser Tamsamani, économiste affilié à l'Observatoire français des conjonctures économiques. . Le360

Dans ce 9e épisode de votre série de capsules «Assises de la fiscalité 2019: un jour, une proposition», l’économiste Yasser Tamsamani nous explique comment la taxation du patrimoine peut aider à réduire les inégalités et à garantir une meilleure efficacité économique.

Le 26/04/2019 à 10h59

La réflexion de l’économiste Yasser Tamsamani sur la taxation du patrimoine part du constat selon lequel les inégalités au sein d’une société jouent en défaveur de son développement. «Nous ne sommes plus dans l’ancien paradigme qui dissocie le critère de l’efficacité de celui de l’équité pour jauger les performances d’un modèle économique. Ces deux critères sont désormais reliés», affirme ce chercheur affilié à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

«La concentration des richesses et la persistance des inégalités qui en découle sont à la fois une conséquence et une cause des défaillances d’un système économique», poursuit-il.

En se référant au cas du Maroc, Tamsamani énumère cinq canaux de transmission des effets négatifs d’un niveau élevé des inégalités sur la dynamique économique et sur la cohésion sociale.

Premier canal: la proportion de produits importés dans la consommation des riches est plus élevée que chez les pauvres. Résultat: la montée des inégalités dans une société fait augmenter son taux de pénétration, ce qui engendre des fuites sèches de revenus vers l’étranger.

Deuxième canal: la probabilité qu’un détenteur du capital opte pour la captation de la rente (au lieu d’aller investir dans un secteur productif) augmente avec la croissance de la richesse initiale et avec la concentration de la richesse au sein d’une économie.

Troisième canal: La montée des inégalités ne se traduit pas forcément par une productivité élevée. Du fait d’une répartition primaire déséquilibrée, la rémunération des salaires est plus faible que la rémunération du capital et, par conséquent, on se retrouve avec des salariés qui sont très peu motivés et donc moins productifs.

Aussi, la concentration des richesses fait que les détenteurs du capital ne sont pas forcément les plus talentueux qui vont aller investir au sein de l’économie. La sélection ne se fait donc pas par le talent ou par le mérite, mais par la quantité du capital détenu à la date où l’individu commence son parcours professionnel.

Quatrième canal: l’instabilité sociale, conséquence directe de la montée des inégalités, met à mal la cohésion sociale et laisse installer un climat peu favorable à l’investissement et à la croissance.

Cinquième canal: la montée des inégalités frappe l’égalité de chances au sein d’une société et par là même, l’idée de justice qu’on pourrait adopter.

Tamsamani déduit de ces observations que la taxation du patrimoine devrait jouer un rôle important pour dynamiser l’économie et introduire plus d’équité.

En agissant sur le stock, elle peut prendre la forme d’une taxation forte du patrimoine dormant. Aussi, une taxation de la succession et des transferts entre les vifs semble être fondamentale pour ralentir le rythme d’accumulation intergénérationnelle des richesses afin de briser le cercle vicieux entre les sous-performances économiques et la persistance des inégalités que connaît le Maroc. Sur un autre registre, la taxation du patrimoine est bénéfique pour les recettes du budget de l’Etat. Car les transferts, que ce soit via l’héritage ou via les donations, se font indépendamment du cycle économique, ce qui garantirait une certaine constance des recettes fiscales, en plus de leurs bienfaits sur le plan socio-économique.

Par ailleurs, Tamsamani estime que la voie reste ouverte pour revisiter la fiscalité appliquée aux flux alimentant le stock du patrimoine, à savoir les revenus (hauts salaires et revenus du capital), et cite, à ce titre, quelques exemples: revoir la défiscalision du Plan d’épargne entreprise, de la retraite complémentaire, des intérêts des crédits immobiliers, etc.

Par Wadie El Mouden et Adil Gadrouz
Le 26/04/2019 à 10h59