Francis Perrin: pourquoi le prix des carburants va-t-il encore flamber? Quelles solutions pour le Maroc?

Francis Perrin est Senior fellow au Policy Center for the New South.

Francis Perrin est Senior fellow au Policy Center for the New South. . Khadija Sabbar/ Le360

Le 01/11/2022 à 12h41

VidéoSpécialiste des problématiques énergétiques, Francis Perrin explique les raisons de la flambée actuelle des cours du pétrole et ses incidences. Selon lui, une solution pour le Maroc se trouverait dans les énergies renouvelables, et dans l’efficacité énergétique.

Francis Perrin est Senior fellow au Policy Center for the New South (PCNS) et directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), en plus d’être un expert au sein de l'Association pour le progrès du management (APM, Paris). Il enseigne notamment à l'IRIS, à l'Institut national des sciences et technologies nucléaires et à l'École de gestion de la Sorbonne. Il est par ailleurs rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire parisien spécialisé dans l'énergie «Petrostrategies».

L’Opep+ a entériné une réduction drastique de la production de pétrole dès novembre. Le prix des carburants à la pompe n’est-il donc pas près de baisser?Précisons d’emblée que l’Opep+ est une coalition, et non une organisation, de 23 pays producteurs de pétrole, dont les 13 pays membres de l’Opep et 10 non-Opep. Dans cette coalition, il y a deux pays dominants: l’Arabie saoudite, pays Opep, et la Russie, non-Opep. Ces 23 pays se sont réunis le 5 octobre dernier et ont pris une décision marquante, à savoir la réduction, à compter de ce mois de novembre, de leur plafond de production collectif de 2 millions de barils par jour. Pas pour 15 jours, mais pour plusieurs mois. Cette décision est une rupture par rapport à ce que ces pays avaient pour habitude de statuer auparavant. Depuis 2021, l’Opep+ ouvrait régulièrement, tous les mois, les robinets des exportations pétrolières. Cela a été le cas jusqu’à cet été 2022 et même au mois de septembre. En octobre, cependant, ils ont réduit leur production de 100.000 barils par jour, inaugurant une plus grande tendance dès le mois suivant. 

Les raisons de cette décision tiennent à des considérations géopolitiques. Certains voudraient que l’Opep+ ait pris le parti de la Russie contre les Etats-Unis. Ce n’est pas ma lecture. Je pense que cette nouvelle donne s’explique par des facteurs économiques et pétroliers. L’Opep+ regarde de très près l’économie mondiale et le marché pétrolier d’aujourd’hui et de demain. Et comme beaucoup de pays ou d’organisations, elle redoute une récession mondiale en 2023. Ce n’est pas une certitude, mais s’il y a très prochainement une récession, le monde va consommer moins de pétrole et les cours de cette matière vont chuter. L’Opep+ a donc décidé qu’au lieu d’être dans la réaction, il valait mieux être proactif, en réduisant l’offre pétrolière mondiale. Le but est de limiter la casse pétrolière possible en 2023.

Cette décision se fonde sur une analyse des perspectives de l’économie mondiale et du marché pétrolier mondial. La décision n’est pas dictée par des considérations géopolitiques. Par contre, elle a des impacts géopolitiques.

La récession économique mondiale en vue est-elle inévitable?Pour l’instant, il n’y a pas de récession, mais un ralentissement économique mondial lié aux conséquences de la guerre en Ukraine et à la résurgence de l’inflation ainsi qu’à la volonté des banques centrales de certaines grandes puissances de lutter contre cette inflation, en élevant leurs taux d’intérêt, ce qui accentue le ralentissement et pourrait éventuellement plonger le monde dans la récession.

Le manque d’investissements dans le raffinage alourdit cette facture. Pourquoi si peu d’intérêt?C’est un sujet dont on parle peu, malheureusement. Ce qui revient le plus, c’est effectivement le marché du pétrole brut, des investissements dans l’exploration pétrolière. On oublie que le pétrole est une chaîne de valeur avec plusieurs maillons, dont le raffinage. Ce qui intéresse le consommateur, c’est justement le pétrole raffiné, par exemple le carburant automobile ou le fuel lourd pour les industries. Pour cela, il faut donc du pétrole et des raffineries, en nombre suffisant pour satisfaire la demande mondiale. Néanmoins, en temps normal, le raffinage n’est pas la fraction qui rapporte le plus d’argent dans la chaîne de valeur. En général, c’est en amont (exploration, gisements de pétrole, production de pétrole et de gaz) que l’on gagne le plus d’argent. C’est là où la rente pétrolière est générée.

Le raffinage est peu ou pas rentable, cela n’encourage pas les acteurs pétroliers à y investir suffisamment. D’autant plus que si l’on remonte aux 7-8 dernières années, nous avons assisté à de fortes chutes des prix du pétrole entre mi-2014 et début 2016. Nous avons également eu 2020, avec la pandémie du Covid-19 et la récession économique. Les acteurs du secteur pétrolier savent que les prix de cette matière sont des montagnes russes. Nous ne sommes pas sur 5 ou 10% de baisse, mais des chutes conséquentes. De quoi refroidir les pétroliers qui se demandent quand la prochaine descente va se produire. On ne se précipite donc pas pour investir des sommes très importantes, qui se chiffrent en milliards de dollars ou d’euros, dans le pétrole en général et dans le raffinage en particulier, surtout qu’autour de nous, ils sont nombreux à dire que le monde va vers une récession.

Pour les pays non producteurs, comme le Maroc, quelles sont les options possibles, et rapidement?En matière d’énergie, rien n’est rapide. C’est un secteur qui requiert des investissements énormes avec des équipements, des centrales électriques par exemple, qui ont une durée de vie longue, de 30 à 60 ans. Quand vous avez un secteur avec des caractéristiques technico-économiques aussi complexes et lourdes, on ne peut pas faire les choses rapidement, mais le plus rapidement possible.

En matière de politique énergétique, je crois beaucoup à la notion de mix énergétique. S’il y avait une seule solution, le monde l’aurait trouvée depuis longtemps. On a donc besoin d’un ensemble de solutions coordonnées le plus harmonieusement possible. Pour le Maroc, les principaux composants de ce bouquet énergétique sont, et on peut en discuter l’ordre:- Un fort développement des énergies renouvelables, notamment le solaire et l’éolien;- Une grande économie d’énergie et une plus grande efficacité, voire sobriété énergétique. C’est essentiel pour l’ensemble des pays du monde;- La poursuite du développement des hydrocarbures (pétrole et gaz naturel). Nous savons qu'en l’état actuel des choses, le Maroc n’a pas un potentiel considérable en la matière, mais il y a des découvertes, notamment gazières. Il faut chercher à ce que le Maroc devienne un pays incitatif pour l’exploration pétrolière et gazière. C’est d’ailleurs le cas;- L’importation de gaz naturel liquéfié, un projet dont on parle depuis longtemps. La rupture des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie et l’arrêt du gazoduc Maghreb-Europe replace ce projet au centre des politiques énergétiques et l’idée est relancée.

Il faut dans tout cela garder une politique énergétique marocaine qui marche sur quatre pieds avec les deux premiers piliers –énergies renouvelables et efficacité énergétique– comme éléments dominants. C’est la garantie d’un meilleur équilibre.

L’idée d’intégrer le nucléaire au bouquet énergétique marocain fait son chemin. Quels préalables?L’énergie nucléaire reste concentrée entre les mains d’un nombre réduit de pays, développés ou émergents, comme la Chine, qui détient actuellement le programme nucléaire le plus développé dans le monde. Des pays en développement, comme le Maroc, regardent également cette donne et le sujet est étudié, des compétences nationales sont formées, des échanges ont lieu avec des pays et des entreprises qui maîtrisent cette énergie. Toutefois, cette énergie pose de redoutables problèmes économiques et de sécurité. En coûts d’investissement, c’est très lourd et cela pose un grand défi de financement. D’où, d’ailleurs, une orientation de l’industrie nucléaire dans le monde vers les petits réacteurs modulaires. Ajoutons à cela le défi lié à la sécurité qui suppose une culture de sûreté extrêmement élevée. Celle-ci n’est pas l’apanage de certains pays, mais il faut du temps pour l’acquérir.

Il est normal d’explorer cette filière, de faire le tour de ses avantages et ses inconvénients, d’étudier des voies de coopération avec des pays qui ont la technologie et, le moment venu, de voir si l’option nucléaire peut, ou pas, prendre place dans le bouquet énergétique national.

S’agissant des énergies renouvelables, quelles pistes doit-on privilégier au Maroc? Existe-t-il un fast track pour une transition énergétique?Ce serait mieux que les choses aillent plus vite, au Maroc et dans le monde. Le Royaume s’est, depuis longtemps, doté d’une stratégie de développement des énergies renouvelables. Mais globalement, on gagnerait tous à aller plus rapidement. Il y a l’enjeu du changement climatique qui suppose une décarbonation très importante de l’économie mondiale. Sur ce volet, nous sommes tous dans le même bateau.

Au moment où nous parlons, les trois énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz naturel) représentent un peu plus de 80% de la consommation mondiale d’énergie. Cette situation n’a pas changé depuis 20 ans et les énergies fossiles ont à peu près toujours le même poids. Cela ne veut pas dire que rien ne se passe, mais il y a toujours une forme d’inertie dans le monde de l’énergie et il faut énormément d’efforts et du temps pour voir enfin la part des énergies fossiles baisser de façon significative. Pour le moment, nous n’y sommes pas encore. Les énergies renouvelables se développent, certes rapidement, mais vu qu’on est parti de rien, elles se limitent encore à 6% de l’énergie consommée à l’échelle internationale.

Le 01/11/2022 à 12h41