Le wali de BAM est-il en droit de critiquer les partis politiques? Voici ce qu’en pense l’économiste Yasser Tamsamani

Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib. 

Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib.  . DR

Loin de toute polémique, les propos controversés du wali de Bank Al-Maghrib à l’égard des partis politiques méritent d’être soigneusement analysés en jetant un rai de lumière sur l’interdépendance des politiques budgétaire et monétaire. Décryptage, en compagnie de Yasser Temsamani, docteur en économie.

Le 29/06/2021 à 10h30

Question: l’interdépendance entre la politique monétaire (celle-ci étant du ressort des banques centrales) et la politique budgétaire (qui relève du pouvoir de l’exécutif) ne pousse-t-elle pas à donner au wali de BAM le droit d’avoir un droit de regard sur les partis politiques formant les gouvernements chargés de mettre en œuvre ces politiques budgétaires?

La polémique née des propos critiques à l’égard de la classe politique, tenus la semaine dernière par le wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, n’est en effet pas prêt de prendre fin. Même si le wali a retiré immédiatement l’expression qu'il a employée et qui a grandement fâché les politiques, «bakour et zaâtar», prononcée à la fin d’une longue visioconférence devant les journalistes, certains partis politiques n’ont pas hésité à réagir par voie de communiqué, condamnant une «dérive dangereuse et injustifiée».

Certains reprochent à Abdellatif Jouahri le fait d’utiliser la tribune que lui offre Bank Al-Maghrib pour s’attaquer aux partis politiques. Des «politologues» ont rejoint certaines figures partisanes, qui pensent que l’évaluation des partis politiques n'entre pas dans le cadre des missions et prérogatives du wali de BAM, que celui-ci aurait raté une occasion de se taire.

Pour Yasser Temsamani, que Le360 a longuement interrogé, «la question que vous posez est légitime et renvoie, au fond, au débat sur l'indépendance de la Banque centrale, car l'indépendance requière la réciprocité mais elle n’exclut pas la coordination», affirme l’économiste, qui a ensuite bien voulu livrer le fond de sa pensée sur ce propos.

«Dans les pays dotés d’un régime de change intermédiaire, identique à celui en vigueur actuellement au Maroc, la Banque centrale [BC] ne peut être totalement indépendante du pouvoir exécutif, dans la mesure où les objectifs et la mission de la BC sont déterminés par l'exécutif à travers son choix d’un régime de change non flexible», indique d'emblée Yasser Temsamani.

Selon l'économiste, «cette dépendance nécessite une coordination entre la politique monétaire et budgétaire. Il est donc tout à fait légitime que Bank Al-Maghrib surveille de près la politique budgétaire et appelle à une certaine rigueur budgétaire».

Et l'économiste d'étayer son propos: la raison qu'il vient d'évoquer est que «la réussite de la mission du banquier central, qui consiste à maintenir l'évolution de la valeur externe du dirham à l'intérieur d'un corridor et à travers lequel une certaine dynamique des prix à la consommation, dépend de l'impact que peut avoir la politique budgétaire expansionniste sur le compte courant».

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Dans le cas particulier où le creusement du déficit public se traduit par un déficit accru de la balance des transactions courantes, poursuit notre interlocuteur, la pression sur les réserves de change est telle que le risque d'une crise de change devient manifeste, ce qui privera la banque centrale de ses munitions (soit les réserves de change) et l’entravera à poursuivre sa mission.

D'où cette déduction logique de Yasser Tamsamani: le gouverneur de la Banque centrale est tout à fait dans son rôle, celui d'observer de près l'évolution de la politique budgétaire.

L’économiste tient toutefois à nuancer cette conclusion en rappelant que «les politiques budgétaires expansionnistes ne se traduisent pas forcément par une pression sur les réserves de change». Au lieu de se focaliser sur la dette et le déficit public, Yasser Tamsamani recommande de suivre et de commenter la sensibilité et la réaction du compte courant à l'évolution du budget de l'Etat.

«Dans notre rapport contribuant au débat sur le modèle de développement intitulé -pour un modèle alternatif de développement du Maroc- publiée dans revue Réflexions Economiques, nous avons plaidé pour une augmentation des dépenses publiques mais au profit des secteurs comme l'éducation et la santé dont le taux de pénétration est faible et pour un ciblage sectoriel et territorial de l'investissement publique en mesure de maximiser son effet d’entraînement», soutient l’économiste.

Par ailleurs, Yasser Tamsamani avance un deuxième argument, cette fois-ci en défaveur de l’intervention du gouverneur de la Banque centrale dans les choix de l’exécutif. «La flexibilité du taux de change a été entamée sous le mandat du gouverneur actuel de la Banque centrale, en poursuivant in fine l'objectif de son indépendance "entière" (en termes à la fois des objectifs fixés et des outils mobilisés pour les atteindre, mais également vis-à-vis de la politique monétaire des pays dont la monnaie sert d’ancrage au dirham). Il aurait été cohérent avec l'esprit de cette "réforme" du régime de change que la gestion de la politique monétaire se tienne à l'écart des choix budgétaires», a déclaré, en conclusion, Yasser Tamsamani.

Par Wadie El Mouden
Le 29/06/2021 à 10h30