Secteur bancaire: le coût du risque monte en flèche, la profitabilité sévèrement impactée

Les banques au Maroc ont sensiblement augmenté leurs provisions pour faire face aux défauts de paiement. 

Les banques au Maroc ont sensiblement augmenté leurs provisions pour faire face aux défauts de paiement.  . DR

Les banques au Maroc ont fait le job en matière de financement de l’économie durant le premier semestre 2020. Mais la hausse significative du coût du risque, alimentée par l’impact de la crise sanitaire sur la solvabilité des emprunteurs, pèse déjà sur la rentabilité du secteur. Analyse.

Le 01/09/2020 à 14h04

Distribution des aides financières de l’Etat aux ménages, report des échéances de crédits, distribution des crédits garantis par l’Etat (Damane Oxygène et Damane Relance), financement des TPME: depuis le début de la crise sanitaire, le secteur bancaire marocain est sur tous les fronts, et fait office de courroie de transmission privilégiée des mesures prises par les pouvoirs publics pour atténuer les effets néfastes de l'épidémie de coronavirus sur les ménages et les entreprises.

Cette mobilisation tous azimuts, accompagnée par les mesures accommodantes prises par la Banque centrale pour faciliter l’accès au crédit (baisse du taux directeur, refinancement, etc.) se lit sur les indicateurs d’activités des banques au premier semestre 2020. Toutes affichent des performances commerciales en hausse, notamment en termes de production de crédit.

C’est le cas notamment d’Attijariwafa bank, dont l’encours des crédits, sur une base consolidée, a augmenté de 5,9% à fin juin 2020 par rapport à fin juin 2019. Le Produit net bancaire (PNB), équivalent du chiffre d’affaires pour les banques, ressort à 6,3 milliards de dirhams à fin juin 2020, soit une progression de 8,6% sur une année glissante.

C’est également le cas de la Banque centrale populaire, dont le produit net bancaire semestriel ressort en hausse de 13,9%, à 10 milliards de dirhams. Même tendance pour Bank of Africa, dont les résultats à fin juin 2020 font état d’un PNB consolidé de 7 milliards de dirhams, stable en comparaison avec la même période de l’année dernière. L’encours des crédits à la clientèle s’est lui apprécié de 4,8% pour atteindre 196 milliards de dirhams.

Du côté du Crédit Agricole du Maroc, l’encours des crédits s’est apprécié de 6,4% à 89 milliards de dirhams durant les six premiers mois de 2020. Le PNB est lui en progression de 9% à 2,1 milliards de dirhams. CIH Bank a également tiré son épingle du jeu avec un PNB consolidé en hausse de 17,4% au premier semestre à 1,4 milliard de dirhams.

L’activité des banques à capitaux majoritairement français s’est également montrée résiliente durant ce premier semestre pas comme les autres. BMCI par exemple, filiale marocaine de BNP Paribas, affiche un PNB consolidé de 1,55 milliard de dirhams en hausse de 1,1% sur un an.

Crédit du Maroc, filiale du Crédit Agricole français, a de son côté augmenté son encours des crédits de 3,8% ce semestre, tandis que son PNB ressort parfaitement stable à 1,2 milliard de dirhams.

En résumé, dès le début de la crise sanitaire, les banques marocaines ont su vite s’adapter et elles ont fait le job, à savoir: continuer à financer ménages et entreprises.

Forte hausse des provisions pour risques d’impayésCela a néanmoins un prix: la hausse du coût du risque. En avril dernier, l’agence Moody’s mettait déjà en exergue cette menace en abaissant la perspective de la note des banques marocaines, passant de stable à négative. Moody’s avait alors prévu une hausse des créances en souffrance du secteur de l’ordre de 9% à 11% du total des prêts en 2020 (contre 8% en 2019). Pour Bank Al-Maghrib, le taux de défaut moyen devrait passer de 7,6% en 2019 à 9,9% en 2020 puis à 10,8% en 2021.

Il faut dire que les banques marocaines sont confrontées à un affaiblissement de la qualité et de la rentabilité des prêts à cause des effets de la pandémie du coronavirus sur la solvabilité des ménages et des entreprises. Les banques augmentent alors significativement leurs provisions, pour faire face aux futurs impayés, ce qui ne manque pas de dégrader leur rentabilité.

Cette détérioration du portefeuille de crédit des banques, et la hausse du coût du risque qui en découle, s’est vérifiée durant le premier semestre de cette année. A titre d’exemple, le coût du risque du Crédit du Maroc à fin juin 2020 a triplé par rapport à juin 2019, à 437,9 millions de dirhams. Cette augmentation provient, essentiellement, de la constatation des impacts de la crise Covid-19 et du provisionnement prudentiel des encours sains, notamment sur certains secteurs impactés par la crise. Le résultat net part de groupe de Crédit du Maroc a au final chuté de 92% en glissement annuel.

Au niveau de la BMCI, le coût du risque consolidé a augmenté de 182,6% à fin juin 2020 par rapport à fin juin 2019 intégrant les impacts de la crise sanitaire Covid-19. Le résultat net consolidé du groupe bancaire s’est établi à 56 millions de dirhams à fin juin 2020, soit une baisse de 84,2% par rapport à fin juin 2019.

Les mastodontes de la place ne sont pas en reste. Pour la Banque centrale populaire, l’impact de la crise sanitaire s’est particulièrement fait sentir sur le coût du risque, qui s’est renforcé à 3 milliards de dirhams. Au final, le résultat net consolidé recule de 48% à 1,03 milliard de dirhams, tandis que le Résultat net part du groupe (RNPG) baisse de 28% pour s’établir à 1,01 milliard de dirhams.

Quant à Attijariwafa bank, elle prévient dans sa dernière communication financière que «le Résultat net part du groupe est attendu en baisse importante au titre du premier semestre et de l’exercice complet 2020, en lien avec la détérioration significative du risque de crédit engendrée par la crise du Covid-19 et le provisionnement anticipatif et prudent associé».

«Les banques au Maroc ont toujours adopté une politique proactive dans la gestion du risque de crédit. Elles provisionnent bien avant que la créance ne revienne impayée», souligne une source bancaire pour expliquer cette montée en flèche du coût du risque.

Si les banques ont autant provisionné, c’est que les perspectives pour le deuxième semestre 2020 n’incitent guère à l’optimisme. Les défaillances d’entreprises et les faillites devraient en effet commencer à s’accumuler à partir de cet automne, notamment dans les secteurs les plus sinistrés comme le tourisme ou le BTP.

Par ailleurs, nous explique-t-on, les reports des échéances de crédit étant terminés, les défauts de paiement sur certains crédits sont attendus en hausse au cours des prochains mois. Au final, la hausse du risque de crédit et la diminution de la rentabilité des banques devraient impacter négativement le niveau des fonds propres prudentiels.

La question qui se pose à ce stade est de savoir si les banques tiendront le choc sur la durée. Récemment Bank Al Maghrib (BAM) s’est montrée rassurante sur cette interrogation: l’exercice de macro stress test effectué par la Banque centrale en juin 2020 a en effet fait ressortir la résilience des banques au choc induit par la crise du Covid-19. Un deuxième stress test du secteur est prévu d’ici la fin de l’année, a annoncé BAM, pour faire un nouveau point sur la situation.

En attendant, les banques vont continuer à financer l’économie, quitte à enregistrer une baisse importante de leurs bénéfices. Il ne peut en être autrement, quand on sait qu’au Maroc, le financement de l’économie passe quasi exclusivement par le secteur bancaire et non par les marchés financiers.

Par Amine El Kadiri
Le 01/09/2020 à 14h04