Transport: Les raisons du désamour entre M'dina Bus et la Ville de Casablanca

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Après 15 longues et laborieuses années, le contrat de concession scellé entre M'dina Bus et la Ville de Casablanca devrait prendre fin en novembre prochain. Les deux parties se reprochent mutuellement de n'avoir pas honoré leurs engagements. Une affaire complexe, à présent devant un juge.

Le 08/02/2019 à 10h50

Le dialogue de sourds que se livraient, depuis plusieurs mois, M’dina Bus et la ville de Casablanca s'est désormais transformé en un froid sibérien, qui acte le divorce, prévu en novembre prochain, entre l’autorité délégante et le délégataire des services de transport urbain de Casablanca. 

D’ailleurs, le Conseil de la ville a opté pour le non renouvellement du contrat de concession du transport par autobus, à travers le vote à l’unanimité de la reconduction du contrat. Mais une source proche de du dossier relativise cette décision, et préfère parler de "simple diversion". Selon cette source, le transporteur "n’a pas été demandeur d’un prolongement de la concession". Et d’ajouter: "il aurait fallu qu’il en fasse la demande un an avant la fin du contrat, soit en novembre 2018, or aucune démarche n’a été entreprise dans ce sens".

A M’dina Bus, il semblerait que les priorités soient désormais ailleurs. Les responsables ont, en ce moment, l’œil plutôt rivé sur le procès en cours engagé contre la Ville de Casablanca, pour manquement aux termes du contrat. Le transporteur, qui s'estime lésé, réclame ainsi, devant le tribunal de commerce, pas moins de 3 milliards de dirhams.

Pour cause, notre source ne se gêne d'ailleurs pas pour évoquer une série de griefs que le délégataire reproche à la Ville de Casablanca. Il s’agit notamment de l’absence d’investissement pour réaliser des couloirs de bus, d’avoir permis à trois sociétés concurrentes de poursuivre leur activité, de n’avoir pas tenu compte des nouveaux modes de transport ou encore d’avoir autorisé les grands taxis à desservir le centre-ville, alors que leur territoire d'action aurait dû, en principe, se limiter à la périphérie de la métropole. De plus, ajoute notre source, la ville de Casablanca s’est considérablement étendue, sans que le réseau desservi par M'dina Bus ne suive ce développement... 

Autant de facteurs qui auraient plombé les comptes de M’dina Bus et l'auraient empêché de concrétiser son plan d’investissement initial. Evidemment, au niveau du conseil de la Ville, la version est bien différente.

Pour évaluer ce montant de 3 milliards de dirhams d’indemnisations réclamés à la Ville, M’dina Bus s’est appuyé sur un rapport du cabinet d’audit KPMG, commandité par le ministère de l’Intérieur. Sauf qu’il s’agissait là que "d’un rapport préliminaire", dénonce Mohamed Abou Rahim, responsable du Transport au Conseil de la ville de Casablanca.

Selon lui, "le rapport devait être validé à la fois par le comité de suivi de l’étude, le comité de pilotage de cette même étude, mais également par le Service permanent de contrôle du contrat de concession". "Or, poursuit Mohamed Abou Rahim, cela n’a jamais été le cas et l’auditeur avait clairement mentionné le caractère non définitif de ce rapport".

Concernant les reproches liés à l’investissement, Mohamed Abou Rahim les balaie d’un revers de main. D’abord, selon lui, les trois compagnies de transport faisant illégalement concurrence à M’dina Bus, à savoir Chennaoui Bus, Rafahia Bus et Lux Transport, "se sont maintenues d’elles-mêmes, parce que le délégataire n’avait pas réalisé les investissements nécessaires".

Ce serait donc pour cette raison qu’après 2009, année où leur contrat est arrivé à terme, la ville n’a pas jugé nécessaire de les interdire.

Pour étayer ses dires, et illustrer l’absence d’investissements consentis par M'dina Bus, ce responsable du transport auprès du conseil de la Ville de Casablanca cite le nombre de bus mis en service par le délégataire, qui auraient dû être, en théorie, 1200, et qui ne sont, de fait, selon ses dires, que 400 actuellement.

Mais ce chiffre est sous-évalué par notre source anonyme, laquelle évoque plutôt 700 véhicules mis en circulation par le délégataire.

Mais voilà, au Conseil de la Ville, on voit les choses autrement: "nous ne prenons pas en compte les bus donnés en location à des écoles ou d’autres entités, d’où ce nombre de 400 [autobus mis en circulation à Casablanca, Ndlr] seulement", indique Mohamed Abou Rahim.

Et pour mieux dédouaner la Ville de Casablanca, ce responsable cite plusieurs contributions consenties à la compagnie de transports en commun, notamment "200 millions de dirhams destinés à l’achat d'autobus, 60 millions pour accompagner des mesures sociales et 40 autres pour assurer l’interopérabilité entre le Tramway et le réseau de bus". "Malheureusement, tous ces efforts n’ont absolument servi à rien", se désole Mohamed Abou Rahim.

Si les deux parties ne parlent décidément plus le même langage, c’est parce qu’elles ont déserté, depuis bien longtemps, ce qui devait leur servir de cadre d’échange, en l’occurrence un "comité de suivi" censé se réunir tous les six mois pour évaluer les termes du contrat et leur exécution, et y apporter les correctifs nécessaires. Or, la dernière réunion de ce comité a eu lieu en ... 2008, sous le mandat de l’ancien maire, Mohamed Sajid.

"Peu de temps après notre installation en octobre 2015, nous avons convoqué le premier comité de suivi en février", précise toutefois Mohamed Abou Rahim...

Aujourd’hui, ce dialogue de sourds ne permet pas aux Casablancais, lesquels ont effectué 141 millions de trajets en 2014, selon un chiffre communiqué par M'dina Bus, qui emploie 4000 employés, d’entrevoir l'avenir avec optimisme.

Surtout que l’affaire, qui est aujourd'hui entre les mains de la justice, pourrait davantage compliquer les choses. Et comme pour mettre de l'huile sur le feu, le Conseil de la Ville menace désormais de porter plainte contre M'dina Bus "pour mise en danger de la vie d'autrui"... L'affaire est décidément à suivre.

Mais, la fin du contrat en novembre prochain devrait pousser l’Etablissement de coopération intercommunale (ECI), avec récemment à sa tête la maire de Mohammedia Imane Saber, à entrevoir de nouvelles perspectives.

En attendant, la ville, par le biais de la SDL Casa Transport, a lancé un appel d'offres portant sur l'acquisition de 350 bus en deux lots de 200 et 150 bus. Il s'y ajoutera, en novembre prochain, les 700 autres bus détenus par Medina bus. Dans une ville qui, en 2019, a besoin de 1.200 véhicules, le compte n'y est certainement pas. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 08/02/2019 à 10h50