Quand Benchemsi joue à la victime…

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Poursuivi à Paris pour diffamation contre le secrétaire particulier du roi, l’ancien directeur de TelQuel a choisi pour sa défense de s’ériger en chantre des droits de l’homme et de la liberté de la presse au Maroc. Aurait-il oublié ses éditos à la gloire du système qu’il fustige aujourd’hui?

Le 19/04/2015 à 20h37

Rarement on aura fait autant de bruit pour influer le cours d’un procès. Quatre jours avant l’audience du 17 avril, Ahmed Reda Benchemsi (ARB) s’est livré à une opération de teasing sur les réseaux sociaux, en vue à la fois de mobiliser l’opinion publique et de s’ériger en victime du procès que lui a intenté Mounir El Majidi pour diffamation. L’audience se déroule pourtant à la 17ème chambre correctionnelle près le tribunal de grande instance de Paris (la chambre de la presse). ARB et une bande de copains ont bien voulu faire croire sur les réseaux sociaux qu’ils vont restituer les minutes de l’audience. Ils se sont livrés à un travail de sélection dans les faits rapportés où il y a une grande part de désinformation. Le film réel des événements est pourtant très instructif de la fuite en avant, opérée par ARB.

Un article diffamatoire

Suite à la publication d’un article, signé par Ahmed R. Benchemsi, le 26 juin 2012 par le quotidien Le Monde, Mounir El Majidi s’est constitué partie civile du chef de délit de diffamation publique envers un particulier concernant les allégations contenues dans l’article intitulé «La grande corruption règne en maître au Maroc». L’auteur de l’article accuse Mounir El Majidi d’avoir créé une société BaySys Maroc, un équipementier aéronautique, et d’avoir pesé de son influence pour contraindre la RAM à y prendre des parts à hauteur de 360.000 dollars. ARB affirme que Mounir El Majidi a perçu dans cette opération des commissions dans le cadre de la prise de participation de la RAM dans le capital de la société BaySys Maroc, créée et contrôlée par lui. Cet article pullule de passages ouvertement diffamatoires. Exemple : «(...) Révélée il y a quelques jours, l’affaire BaySys illustre jusqu’à la caricature la mécanique implacable du “MAJIDI business“, aujourd’hui au cœur de la corruption d’Etat au Maroc.»

La stratégie du glissement

Dans l’espoir d’échapper à la responsabilité pénale, l’avocat de ARB, maître Bourdon, a fait jouer deux cartes : la bonne foi de son client et la diversion. Au lieu de répondre sur les faits qui sont reprochés à ARB et le laver du caractère diffamatoire de l’article, il s’est défendu sur le terrain de la gouvernance politique au Maroc et a fait diversion, en transformant un procès pour diffamation en procès contre Mounir El Majidi et le régime marocain. Une cible bien plus facile à attaquer quand on ne peut pas prouver les allégations fallacieuses de corruption et de trafic d’influence, martelées à la légère par ARB. Sur le fond du dossier et la diffamation, rien n’a été fourni. Les avocats de Mounir El Majidi ont montré la légèreté de «l’enquête» et exposé que l’affaire BaySys n’est qu’un prétexte pour attaquer Mounir El Majidi. Ils ont à ce sujet pointé du doigt l’animosité de ARB à l’égard de leur client. Une animosité qui n’est pas spontanée, mais orientée. A cet égard, l’avocat de Mounir El Majidi a interrogé ARB sur ses liens avec le prince Moulay Hicham. ARB a reconnu que le prince est «l’un des deux sponsors» qui lui ont permis d’obtenir une bourse à l’université de Stanford. Il a ajouté que Moulay Hicham est un défenseur des libertés et de la démocratie au Maroc, faisant ainsi l’éloge de son bienfaiteur.

Les avocats de Mounir El Majidi ont également interrogé ARB sur ses revenus. Il dit vivoter grâce à des piges. Et de préciser que les économies qui lui restent de la vente de ses actions de TelQuel constituent sa principale ressource. ARB, qui aime faire des enquêtes sur l’argent des Marocains sorti sans l’autorisation de l’Office des changes, nous expliquera peut-être un jour par quelle voie miraculeuse et légale il a pu transformer en devises les dirhams encaissés au Maroc, grâce à la vente de ses parts dans le magazine qu’il dirigeait.

Des témoins partiaux 

Où va-t-on dans un procès lorsque les témoins censés suppléer les allégations fallacieuses d’un diffamateur à la solde d’une idéologie anti-Maroc sont eux-mêmes d’une impartialité douteuse?

Devant l’incapacité de dérouler des justifications sérieuses et factuelles aux allégations, contenues dans l’article incriminé, la stratégie des avocats de ARB a été de faire rayonner la bonne foi et la moralité de leur client. Partant de là, toutes ses allégations, même non justifiées, seraient empreintes d’un parfum de vérité. En gros, je suis moral, donc je dis vrai.

Au grand dam de la justice, deux acteurs, connus pour leurs écrits hostiles au Maroc, ont été appelés à la barre pour témoigner en faveur de la moralité de ARB. D’abord, Ignace Dalle, auteur de plusieurs ouvrages à charge contre le royaume et Catherine Graciet, co-auteure du «Roi Prédateur», un livre qui met justement en cause Mounir El Majidi dans plusieurs chapitres. Comment des personnes aussi partisanes des thèses défendues par ARB peuvent-elles témoigner de sa moralité de manière objective et impartiale ? Comment des auteurs ayant fait des attaques contre le royaume leur fond de commerce et qui vendent des livres anti-Maroc peuvent-ils ne pas mettre de l’eau au moulin de ARB ? Avec ces deux témoins, le conflit d’intérêt est manifeste : il ne peut pas y avoir d’impartialité.

La moralité de ARB

ARB a dit au juge avoir quitté le Maroc, en 2010, en raison de pressions et harcèlements « inimaginables» dont il a fait l'objet. Il s’est présenté comme une personne contrainte à l’exil. En somme, un défenseur des droits de l’Homme, un militant engagé anti-système et qui a fini par payer au prix fort son engagement. Ce que ARB a tu volontairement, c’est qu’il a quitté le Maroc après avoir conclu un pacte avec le prince Moulay Hicham qui l’a introduit à l’université de Stanford et lui a donné une bourse bien généreuse par le truchement de sa fondation. Ce que ARB n’a pas dit au juge, c’est qu’il n’a pas été toujours un pourfendeur du régime. Bien au contraire, il a bénéficié grâce à ses relations familiales et son clientélisme de marchés juteux, comme la campagne liée à «Kounouz bladi» que lui a généreusement octroyé Adil Douiri, qui occupait alors le poste de ministre du tourisme, au grand dam des autres périodiques qui n’ont pas eu un seul centime de la somme supérieure à 1 MDH octroyée à TelQuel. Quand on saura que le grand-père maternel de ARB n’est autre que le frère aîné du très influent istaqlalien Mhamed Boucetta, on comprendra peut-être le pourquoi de cette action généreuse d’un ministre qui occupait alors un portefeuille au nom du parti de l’Istiqlal.

Ce que ARB a également oublié de dire au juge, c’est qu’il n’a pas toujours été un détracteur du régime marocain. Comme en attestent ses éditoriaux, publiés dans TelQuel. Il devrait se souvenir de ses hourrahs au pouvoir, du temps où il intitulait ses éditos «Bravo, Majesté !» (Tel Quel, n° 267).

Mais il y a bien plus grave : le chantre du respect des droits de l’Homme, cette victime de la férocité du régime marocain, est un défenseur de la pratique de la torture au Maroc. Oui, ARB a défendu le recours à la torture. Nous sommes en mai 2005, ARB écrit un édito, «Deux ans après» (Tel Quel n° 176), pour marquer le triste anniversaire des attentats du 16 mai à Casablanca. Un édito qui loue le tout sécuritaire, un édito qui défend non seulement avec ardeur l’usage de la force contre les islamistes, mais estime la torture comme «un mal nécessaire» à «la survie des nations». Où est donc la moralité d’une personne qui fait l’apologie de la torture ? Il n’y a qu’opportunisme et palinodie dans le parcours de l’intéressé. Rendez-vous le 12 juin pour le verdict de son procès pour diffamation.

Par Mohamed Chakir Alaoui
Le 19/04/2015 à 20h37