Algérie. Entre crashs d’avions et ambitions présidentielles: est-ce la fin de Gaïd Salah?

Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’Etat-major de l’armée algérienne.

Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’Etat-major de l’armée algérienne. . DR

Entre crashs d’avion à répétition et ambitions présidentielles à peine voilées, une tendance à trop attirer l’attention et son âge avancé, le jusque-là indéboulonnable chef de l’armée algérienne est plus près que jamais de la (petite) porte de sortie. Décryptage.

Le 26/06/2018 à 13h45

Il a 78 ans, mais jusque-là, il ne voulait rien lâcher. Chef d’Etat-major de l’armée algérienne, le général Ahmed Gaïd Salah soufflait, hier encore, le chaud et le froid. Il multipliait les sorties et autres démonstrations de force et cachait à peine une ambition bien plus grande: se substituer à Abdelaziz Bouteflika à la tête de l’Etat algérien. Sauf qu’en Algérie, le vent, tout comme les humeurs, tourne plutôt vite et convoiter la présidence peut coûter cher. Et c’est ainsi que le bien informé site algeriepart.com nous apprend qu’après 14 ans de «règne», Ahmed Gaïd Salah serait sur le départ. Mieux, son remplaçant est d’ores et déjà connu. Il s’agit du général-major Saïd Bey, l’actuel commandant de la deuxième région militaire, âgé de…60 ans.

Le ton de cette annonce est édulcoré, les formules mielleuses. Sans doute pour mieux faire passer la pilule. Ahmed Gaïd Salah est présenté comme l’homme de toutes les réformes et des actions de modernisation d’un vieil appareil militaire. Sa décision de partir est livrée comme un acte souverain n’engageant que l'intéressé. Lequel aurait lui-même désigné son successeur qu’il s’apprête à proposer à un chef d’Etat gravement malade et à peine maître de ses mouvements.

Mais la vérité est ailleurs. Et tout porte à croire qu’il s’agit bien d’une mise à la porte de Gaïd Salah, dictée tant par la série de scandales de l’armée de l’air algérienne, sur fond de crashs d'avions à répétition, que par l’appétit chaque jour plus grand de Gaïd Salah pour la présidence... Les élections pour lesquels Bouteflika brigue un 5e mandat étant prévues dans moins d’une année.

On s’en souvient, mercredi 11 avril dernier, quelque 257 personnes trouvaient la mort dans le crash d'un avion de transport militaire algérien près de Boufarik, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest d’Alger. Parmi elles, 30 membres civils et militaires du Front Polisario. Plus qu’un accident isolé, ce crash est le dernier d’une longue liste. Comptez une moyenne d’un accident grave par an et 13 crashs mortels depuis 2001. On se souvient notamment de l’accident d’un hélicoptère de transport de troupes qui avait coûté la vie à 12 personnes en 2016, du Soukhoï SU-24 qui s’était écrasé le 13 octobre 2014 à Hassi Bahbah, suivi un mois plus tard et dans la même localité par un Mig-25 et de l’avion de transport C-130 tombé au Djebel Fertas (77 morts).

Présenter Gaïd Salah comme l’homme de la modernisation de l’armée, de sa restructuration et de la refonte de ses ressources humaines est donc tout sauf pertinent. Ces accidents démontrent non seulement le manque de qualification des pilotes algériens, mais aussi la vétusté et le manque d'entretien de leurs équipements. Par contre, le tenir pour responsable de ces drames est tout indiqué. Le chef de l’armée gêne, notamment les ambitions de maintien au poste de Bouteflika et celles, plus discrètes, du frère du président, Saïd, qui nourrit lui aussi le projet de prendre officiellement les commandes d’un pays qu’il dirige de facto.

Sur ce registre, et l’année dernière encore, il ne se passait pas un jour sans que le chef de la grande muette algérienne, Gaïd Salah, fasse parler de lui, surfant sur la peur du terrorisme pour mieux se porter «garant» de la stabilité. Il ne ratait pas une occasion d'apparaître dans les médias en tant que successeur du président invisible. Il inaugurait, prononçait des discours, occupait l’espace médiatique, se déplaçait, serrait des mains. Il était et est encore partout, quand Abdelaziz Bouteflika n'est nulle part. En vue, naturellement, le palais El Mouradia, à Alger. Une telle visée n’a pas manqué de faire réagir. Saïd Bouteflika était, dès 2016, aux manettes pour couper le général de ses soutiens politiques. Le très fidèle ami, Amar Saâdani, à la tête du Front de libération nationale (parti au pouvoir depuis l’indépendance de l’Algérie, en 1962), a été poussé à la démission cette année-là.

N'empêche! Fut un temps où Gaïd Salah était soupçonné de vouloir passer à l’action. Le quotidien allemand Die Welt n’avait pas hésité à prêter à Gaïd Salah l’intention de «préparer un coup d’Etat blanc», à l’instar de celui mené en 2014 par l’ancien maréchal égyptien Abdelfattah al-Sissi. Pire encore, les milieux du renseignement extérieur israélien estimaient, déjà en 2015, qu'un coup d’Etat militaire en Algérie était inévitable. C’est du moins ce que rapporte Gilles Salem, analyste de Flash-Israël, journal israélien connu pour sa proximité avec le Mossad.

Prudente, la fin de l’article de algeriepart.com trahit la reconnaissance que Gaïd Salah ne reculerait devant rien et que, même très avancé en âge, il est difficilement éjectable. «Le plan de succession d’Ahmed Gaïd Salah est toujours à l’étude. Tout peut changer à la lumière des conciliabules et des agendas politiques dictés par les prochaines évolutions de notre pays», lit-on. Serait-ce à dire que le général a le choix entre le retrait de la course ou la mise aux oubliettes? S'agit-il d'une menace ou d'un appel à négocier? La question mérite d’être posée.

Par Tarik Qattab
Le 26/06/2018 à 13h45