Algérie: Gaïd Salah ordonne l'arrestation des auteurs des pancartes qui lui sont hostiles

Slogans et pancartes contre Saïd Salah, vendredi 17 mai en Algérie.

Slogans et pancartes contre Saïd Salah, vendredi 17 mai en Algérie. . DR

Particulièrement massives, les arrestations enclenchées vendredi dernier dans les rangs des manifestants algériens contre le système ont essentiellement ciblé les auteurs des pancartes qui sont hostiles au chef d'état-major de l'armée algérienne. Que faut-il en conclure?

Le 26/05/2019 à 10h56

Jusqu'ici, il a joué la carte de l’autisme face aux revendications d’une rue algérienne dont il se dit toujours l’écho, alors que celle-ci revendique désormais, clairement et en priorité, son départ. Mais Ahmed Gaïd Salah commence-t-il à perdre patience et à révéler le visage sombre de sa stratégie de maintien au pouvoir? Au vu des derniers développements, tel semble bel et bien être le cas pour le chef de l’armée et désormais unique homme fort de l’Algérie.

Ainsi, et depuis vendredi dernier, soit le 24 mai, les arrestations dans les rangs des protestataires se sont multipliées. Pour cette seule journée, des dizaines d’interpellations ont été signalées. Alors que d’aucuns craignaient un essoufflement de la contestation, à la faveur d’un éprouvant mois de ramadan, c’est à l’évidence l’exact opposé qui se produit.

Au moins 19 personnes ont été arrêtées par des forces de l’ordre qui ont eu beau boucler la capitale, en verrouiller les accès…Sans parvenir à endiguer le mouvement. Comme au cours des précédentes semaines, les slogans ont visé le général Ahmed Gaïd Salah. «Ce peuple ne veut pas du pouvoir de l'armée», «y'en a marre des généraux!» et «Gaïd Salah dégage!», «pas d'élections, bande de mafieux», pouvait-on ainsi lire et entendre.

Chose aussi nouvelle qu’annonciatrice d’une perspective sombre pour le régime (toujours) en place et incarné par le chef de l’armée, la répression n’a pas tardé à suivre. Et c’est principalement dans les rangs des porteurs de pancartes anti-Gaïd Salah que les arrestations précitées ont eu lieu. "La police interpellait systématiquement toute personne portant une banderole", racontait un manifestant, enseignant d'université, à l'AFP. Des véhicules étaient également systématiquement fouillés. «Leurs occupants se sont vu confisquer leurs drapeaux et leurs pancartes sur lesquelles sont inscrits des slogans hostiles au régime, avant d’être conduits vers différents commissariats de la capitale», lit-on dans quotidien algérien El Watan.

Une femme faisait partie du lot des personnes arrêtées. De même qu’un enfant de 9 ans a été embarqué dans un fourgon cellulaire en compagnie de son père. «Les policiers nous ont humiliés et maltraités. J’ai vu des vieux très affectés, l’un d’eux est un diabétique, un autre marchait difficilement avec sa canne. J’ai vu aussi un jeune qui a dû être hospitalisé après deux crises d’épilepsie au commissariat», relate un autre témoin au journal.

Autant dire qu’à la retenue d’avant, s’est substituée une violence de plus en plus aveugle. A croire que système Gaïd Salah commence à perdre ses nerfs.

Signe avant-coureur de l’impatience de Gaïd Salah et de sa volonté d’imposer sa loi, même par la force, le chef de l’armée s’est, au cours de la semaine écoulée, exprimé trois fois en autant de jours. D’abord pour opposer un niet catégorique aux revendications de la rue, lundi dernier, qualifiant celles-ci d’irraisonnables et de dangereuses. Ensuite, le lendemain, pour crier à l’infiltration des manifestations par les "instigateurs de plans pernicieux". Enfin, mercredi, pour affirmer son innocence politique et répéter, sans convaincre, ne pas avoir d’ambitions en la matière.

Autre signe révélateur, alors que ce dimanche, le délai de dépôt des candidatures à la présidentielle du 4 juillet, a expiré hier, samedi à minuit. Il s'agit d'un scrutin voulu par Gaïd Salah. Or, aucune personnalité n'a encore voulu se déclarer candidate. La crainte d'un effet pschitt est donc plus réelle que jamais. A l'écoute, le système préfère improviser. Quitte à se trahir. Des partis politiques comme le Front des forces socialistes (FFS), la plus vieille formation d'opposition, ne s’y trompent pas quand ils parlent d’une "véritable rafle" et d'un état de siège à peine voilé, propre…A une dictature naissante.

Par Youssef Bellarbi
Le 26/05/2019 à 10h56