Algérie: la faillite des services de renseignement inquiète les chancelleries étrangères

Les généraux Said Chengriha et Abdelghani Rachedi passant en revue des officiers de la DGSI. 

Les généraux Said Chengriha et Abdelghani Rachedi passant en revue des officiers de la DGSI.  . DR

Depuis le limogeage du général «Toufik» en 2015 et la dissolution de «son» tristement célèbre Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le renseignement algérien est tombé dans l’amateurisme. Conséquence: les décideurs du pays naviguent à vue, faute d’informations fiables.

Le 06/12/2020 à 12h55

Un diplomate en poste à Alger a déclaré, contacté par Le360, que l’amoncellement sans précédent des incertitudes qui prévaut actuellement en Algérie donne froid au dos. Notre source fait allusion non seulement à la crise multiforme qui sévit dans les secteurs socio-économiques et politiques, en particulier la quasi-vacance du pouvoir, mais surtout aux dangers inhérents au climat délétère dans lequel sont actuellement plongés les services de renseignements algériens. En effet, quand la célérité et la fiabilité des informations que ces services sont censés fournir aux décideurs politiques et militaires du pays font défaut, on n’est plus surpris de voir se multiplier, ces derniers temps, les mauvaises décisions, et parfois l’inaction, du pouvoir algérien.

Or, vu l’instabilité chronique aux postes de direction des services de renseignement que monopolise une armée constamment traversée par des règlements de comptes entre généraux, la collecte, le traitement et l’analyse de l’information, puis leur mise à la disposition des décideurs politiques, économiques et militaires, se retrouvent relégués au second plan. 

Uniquement entre fin mars et début mai derniers, les trois principaux services de renseignement et de sécurité que compte l’Algérie ont tous changé de patron: la Direction centrale de la sécurité de l’armée (désormais contrôlée par le général Sidi Ali ould Zemzrli), Direction générale de la sécurité extérieure (par le général Mohamed Bouzit, alias Youcef), et Direction générale de la sécurité intérieure -DGSI (par le général Abdelghani Rachedi).

D’ailleurs l’on se souvient que lors de l’installation de Abdelghani Rachedi à la tête de la puissante police politique monopolisée par l’armée (DGSI), le chef d’état-major de l’armée, Saïd Chengriha, a étalé les divisions de l’armée sur la place publique. D’abord, il a nommé deux fois Abdelghani Rachedi à la DGSI (DG-adjoint de Wassini Bouazza «avec de larges pouvoirs», le 8 avril, puis DG le 13 avril), ce qui a nécessité deux décrets différents signés en l’espace de six jours par Abdelmadjid Tebboune, sur ordre de son subordonné hiérarchique (!). 

Ensuite, lors de cette installation «forcée» de Abdelghani Rachedi, Saïd Chengriha a prononcé un discours des plus maladroits, mais qui dépeint parfaitement l’état calamiteux dans lequel se trouvent les «services» algériens. Ainsi, en parachutant Abdelghani à la DGSI, Saïd Chengriha a lâché deux mots lourds de sens.

Primo, il a demandé aux cadres de la DGSI «d’obéir» à leur nouveau chef, ce qui est une lapalissade dans la hiérarchie militaire (où le chef a toujours raison, même s’il a tort), mais ce rappel à l’ordre est révélateur d’un climat d’insubordination, et donc d’inefficacité, au sein de la DGSI.

D’autre part, il a conseillé à ces mêmes cadres de ne pas «saboter» la politique du nouveau président algérien, Abdelmadjid Tebboune, pourtant chef suprême des armées et ministre de la Défense.

Quand ce genre de langage est tenu publiquement devant des officiers supérieurs, des sécuritaires de surcroît, lors d’une cérémonie diffusée pour la première fois dans l’histoire des «services» algériens par la télévision d’Etat, ENTV, cela signifie que les différentes institutions qui dirigent le pays sont loin d’accorder leurs violons. Et les exemples allant dans ce sens sont légion.

Commençons par le général à la retraite Abdelaziz Mjahed, que Saïd Chengriha a remis en orbite à El Mouradia, officiellement en tant que conseiller militaire et en communication de Abdelmadjid Tebboune, mais en réalité pour graviter autour de ce dernier en tant que taupe de la DGSI et pour surveiller ainsi de près les faits et geste du président «truqué et amené par les militaires», comme le qualifie un slogan du Hirak.

Ce général, connu pour être un adorateur de «Toufik», dont il a dit un jour, sur un plateau de télévision, que c’est un «oiseau rare», a fini par être renvoyé par Tebboune suite au scandale de la fake news qui avait valu à El Mouradia un cinglant démenti de la part de l’ONU-Genève, qui a reconnu enquêter sur une plainte relative à des violations des droits de l’homme en Algérie.

Mais Abdelaziz Mjahed n'est pas pour autant tombé en disgrâce puisque Saïd Chengriha lui a ensuite offert, comme s'il moquait par là Abdelmadjid Tebboune, la direction du Centre national d’études stratégiques globales de Béchar. Or, en confiant cette «base de données stratégiques» à un nostalgique de la guerre froide, qui ne peut se prévaloir d’aucun diplôme, et qui n’a jamais fait la moindre recherche, le chef de l’armée algérienne a fait preuve d’amateurisme. Résultat: un homme, dont toutes les grilles d’analyses sont ankylosées dans la guerre froide et le post-colonialisme, se retrouve à établir des diagnostics stratégiques, susceptibles d’aider les décideurs à décrypter la situation.

Pour rappel, ce centre d’études stratégiques a été brièvement dirigé par Abdelghani Rachedi, dès son retour des Emirats, où il officiait en tant qu’attaché militaire, et où il aurait laissé plusieurs sociétés gérées par sa fille et son gendre, ainsi que l’un de ses fils, selon l’ancien diplomate algérien, réfugié au Royaume-Uni, Mohamed Larbi Zitout.

En tout cas, si Abdelghani Rachedi a réussi dans les affaires, sa gestion de la DGSI a été une catastrophe. Ainsi, selon notre source, depuis son arrivée à la tête de cette boîte, tous les hauts cadres sont désormais court-circuités, puisque tous les chefs d’antennes, à travers le pays, doivent se référer directement à lui.

C’est ce qui explique les tensions récurrentes entre Abdelghani Rachedi, et son bras droit, le très expérimenté général Achour Ouaddahi, un ancien du DRS où il dirigeait le service «Intelligence économique». Un autre officier très expérimenté dans le renseignement, le colonel Nabil Benhamza, lui aussi ancien du DRS et de la Direction centrale de la sécurité de l’armée, a été muté, en guise de sanction pour insubordination, vers la très lointaine ville de Tamanrasset (à 2.700 km de la capitale), ville du sud-est algérien située en plein désert, à la frontière avec le Mali et le Niger.

En fait, Abdelghani Rachedi n’est pas qualifié pour diriger le contre-espionnage algérien, de l'avis de plusieurs cadres de la DGSI. Il essaie d’imposer son autorité en multipliant les sanctions de discipline, ce qui a créé un climat de quasi-insubordination dans cette importante institution.

Cet autoritarisme démesuré du chef de la DGSI a d’ailleurs été mise à nu par plusieurs récents événements. Sans parler des mensonges récurrents accompagnant le blackout total sur la maladie de Tebboune qui tient en haleine les Algériens, Abdelghani Rachedi n’a pas vu venir le revers cinglant que le Maroc allait infliger, sans coup férir, aux séparatistes du Polisario, poussés par les services algériens à obstruer le passage commercial d’El Guerguerat. Sans parler de la situation en Libye, dont le régime algérien est acculé à suivre l’actualité en lisant les journaux.

Cette ineptie a fait écrire à un journal algérien que «les services de renseignements ont besoin de personnes qui ont l’expérience d’hommes de terrain, d’hommes qui ont une parfaite connaissance des dossiers sensibles, et loin de toutes luttes intestines». Notre source ajoute que nombre de chancelleries à Alger s’inquiètent des informations approximatives que les renseignements fournissent aux centres de décision et de l’amateurisme des communicants, qui multiplient les fake news.

Par Mohamed Deychillaoui
Le 06/12/2020 à 12h55