Algérie: la purge au sein des services de sécurité bat toujours son plein

Les généraux algériens en conclave.

Les généraux algériens en conclave. . DR

Comme en mai et juillet derniers, deux grandes directions du renseignement algérien ont à nouveau changé de patron entre le 3 et le 11 septembre derniers. Et c’est à nouveau un général à la retraite qui a été rappelé en vue de prendre les rênes de la Direction centrale de la sécurité de l’armée.

Le 15/09/2022 à 11h40

Pour la deuxième fois en ce début du mois de septembre, le chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, a procédé à l’installation d’un chef des renseignements algériens. Après le général Djebbar M’henna, devenu le 3 septembre dernier le patron de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE), c’est au tour du général à la retraite Abdelaziz Nouiouet Chouiter de devenir, depuis dimanche dernier, le nouveau patron de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA), en remplacement du général Sid Ali ould Zemirli.

Le général Abdelaziz Nouiouet Chouiter est quasiment un illustre inconnu au bataillon. Envoyé à la retraite depuis maintenant une dizaine d’années, il avait dirigé auparavant, dans les années 90, l’actuelle Ecole supérieure du renseignement de Beni Messous à Alger. Il se dit aussi qu’il fut l’un des rares généraux à être resté éloigné des luttes claniques qui divisaient la hiérarchie militaire.

Mais sa nomination, dimanche dernier, en tant que nouveau patron des renseignements militaires pose de nombreuses questions, surtout que Sid Ali Ould Zemirli est depuis deux années et demie à la tête de la DSCA et semblait parti pour y rester, puisqu’il qu’il a été promu général-major le 4 juillet dernier, au même moment où Chengriha a été propulsé au grade de général de corps d’armée. En plus, Zemirli s’est illustré en prenant soin de la progéniture de Saïd Chengriha.

Quand le capitaine Chafik Chengriha, fils du chef d’état-major, a cumulé d’indus avantages et que des voix ont réclamé son audition par un tribunal militaire, Ould Zemirli a redoublé de sollicitude pour le mettre à l’abri du tollé provoqué par le dispositif de prévarication et de concussion taillé sur mesure par son père pour lui. A ce sujet, Ould Zemirli a conseillé à Chafik Chengriha de changer de numéro de téléphone, pour éviter tous les messages anonymes et haineux des membres du «clan Gaïd Salah».

Sauf qu’entre-temps, des officiers supérieurs de la DCSA, dont le frère de Sid Ali, le colonel à la retraite Omar ould Zemitli, ont été arrêtés et accusés de trahison et de complot contre les hautes autorités, civiles et militaires, de l’Etat. Le général Sid Ali est-il victime ou complice de ce présumé complot?

Ce qui est certain, c’est que l’instabilité chronique et l’interminable turnover qui caractérisent les différents services de renseignement algériens, et qui reflètent des luttes pour l’accaparement du pouvoir que se livrent en permanence les généraux de l’armée algérienne, a pris une nouvelle tournure.

Jusqu’ici, cette lutte sans merci, et pour ne citer que l’épisode ayant opposé, à partir de 2013, les généraux Gaïd Salah, ancien chef d’état-major de l’armée (2004-2019), et le général Mohamed Mediène, dit Toufik, patron de l’ex-puissant Département du renseignement et de la sécurité (DRS) par le biais duquel il s’était érigé en «dieu de l’Algérie» de 1990 à 2015, a mis l’armée algérienne sens dessus dessous.

L’on se rappelle que le DRS a été démantelé par Gaïd Salah et tous les hommes de main de Toufik écartés ou emprisonnés, quand ils n’ont pas fui vers l’Espagne dans le sillage du général à la retraite Khaled Nezzar, visé par un mandat d’arrêt international et condamné à 20 ans de prison par la justice algérienne en 2019.

Au lendemain de la mort de Gaïd Salah, le 23 décembre 2019, une contre-purge est immédiatement lancée par le général Toufik, qui, malgré sa condamnation à 20 ans de prison en juillet 2019, n’aura passé que quelques semaines derrière les barreaux dans le pénitencier militaire de Blida. Durant ces semaines, il a subi la pire des humiliations au point que ses enfants ont publié une lettre à l’adresse de l’opinion publique déplorant que son état de santé «s'est aggravé depuis son incarcération le 5 mai 2019 suite à une chute survenue au dixième jour de sa détention au centre pénitentiaire de Blida, occasionnant une fracture complexe de l’omoplate droite».

Quelques semaines plus tard, les trois enfants de Toufik lancent une pétition pour demander la libération de leur père. Dans cette pétition, le général Toufik, chef de tous les services de renseignement en Algérie, est décrit comme (il faut se frotter les yeux pour le croire) «un détenu politique et d’opinion». C’est sans aucun doute le premier patron des renseignements dans le monde qualifié de «détenu politique et d’opinion». Dans cette pétition, le fils du général Toufik Sid Ali et ses deux filles Nassila et Sabrina pleurent en public leur papa. Un outrage que rien ne peut effacer et qui explique l’interminable vendetta dans laquelle s’est lancé Toufik après son retour en grâce.

Ainsi le duo Khaled Nezzar-Toufik va à nouveau sévir, surtout à partir d’avril 2020, pour envoyer en prison des dizaines de généraux et autres officiers supérieurs proches de Gaïd Salah. On y retrouve trois anciens chefs des renseignements, comme Kemaleddine Remili (DDSE), Wassini Bouazza (DGSI), Mohamed Bouzit Youcef (DDSE), mais aussi le général Abdelhamid Ghriss, ancien secrétaire général du ministère de la Défense, le général Abdelkader Lechkham, ancien directeur des transmissions du ministère de la Défense et nombre de leurs ex-collaborateurs… Il faut aussi citer le cas du général Mohamed Kaidi, ex-chef du département Emploi et préparation et ex-numéro 2 du chef d’état-major de l’armée algérienne, emprisonné en novembre 2021 pendant un certain temps, avant d’être assigné à résidence.

Le plus étonnant, c’est que même les mains qui se sont prêtées à la vendetta de Toufik-Nezzar sont à leur tour rattrapées par la furie des purges. A cet égard, les généraux Noureddine Makri et Abdelghani Rachedi, qui ont servi à mettre à exécution la purge contre les hommes de Gaïd Salah, sont actuellement frappés d’une interdiction de sortie du territoire après leur récent limogeage, et ne sont encore épargnés de la prison, apparemment, qu’en raison de leurs maladies chroniques.

Le nouveau patron de la DCSA, le général Abdelaziz Chouiter, doit se dire que le chemin le plus court auquel mène son poste est celui du pénitencier de Blida. La peur au ventre, il est paralysé, au même titre que toute l’armée algérienne.

Par Mohammed Ould Boah
Le 15/09/2022 à 11h40