Débâcle algérienne tous azimuts: les militaires ont désigné Sabri Boukadoum comme bouc émissaire

Sabri Boukadoum, ministre algérien des Affaires étrangères.

Sabri Boukadoum, ministre algérien des Affaires étrangères. . DR

Les jours de Sabri Boukadoum à tête de la diplomatie algérienne sont désormais comptés. Non parce que ce département a essuyé des revers sur tous les dossiers régionaux, mais du fait que les généraux ont besoin d’un fusible afin de détourner la colère populaire. Analyse.

Le 04/01/2021 à 14h30

Un journal algérois, connu pour sa grande proximité avec l’armée algérienne, vient de dresser, dans son édition de ce lundi 4 janvier 2021, un échafaud sur lequel il a descendu en flammes Sabri Boukadoum, ministre des Affaires étrangères. Le chef de la diplomatie algérienne est ainsi qualifié de «chef d’orchestre (qui) ne semble pas diriger la symphonie».

C’est son amateurisme qui est surtout pointé du doigt: «on n'inaugure pas une exposition consacrée à l'artisanat dans l'enceinte du ministère des Affaires étrangères alors que l'on a fort à faire au Maghreb et au Sahel. On ne se contente pas de simples tweets, au moment où se dessine la nouvelle carte géostratégique de la région», égrène le journal, avant de prononcer sa sentence. «Cette "baisse de régime" que traverse l'Algérie en matière diplomatique est une erreur de casting. Et qu'il faudra très vite réparer», écrit le journaliste, dans une sentence telle un couperet, qui augure très probablement d'un changement imminent à la tête de la diplomatie algérienne.

Il est certes exact que celle-ci est en grande perte de vitesse actuellement, tant en ce qui concerne tous les dossiers du voisinage qu’au sein des instances régionales et internationales (Union africaine, ONU, etc.). Mais la débâcle algérienne ne peut pas être réduite à la seule mollesse de sa diplomatie. Elle s’explique surtout par un défaut structurel généralisé, car s’étendant à tous les départements de l’Etat. A commencer par la présidence elle-même, à nouveau aux prises avec le syndrome du président assis sur un fauteuil roulant, après une longue absence à l’étranger pour cause de grave maladie.

De même, les services du renseignement algérien, indispensables aux décideurs du pays, qu’ils orientent dans la prise de la bonne décision, sont totalement dépassés par les évènements. Preuve en est leur assoupissement profond et les renseignements approximatifs, voire erronées qu’ils communiquent aux décideurs, au moment où des tournants décisifs se succédaient à une vitesse vertigineuse en Libye, au Mali, au Niger comme dans le Sahara marocain.

Mais il est vrai que les généraux, qui accaparent tous les «services» algériens, et donc le pouvoir, se livrent une guerre fratricide sans merci, qui a conduit à la fuite de certains d’entre eux, alors que d’autres sont en prison, voire ont été liquidés. La corruption à grande échelle est à l'origine de ces règlements de compte entre hauts gradés de l’armée, comme le démontrent les récentes poursuites engagées contre le général-major Abdelkader Lachkhem, qui aurait détourné, à lui seul, plus de deux milliards de dollars du temps où il dirigeait le département des transmissions à l’état-major de l’armée, poste dont il a été écarté au début de l'année 2020.

Cette corruption des généraux profite aussi à leurs enfants. Le général-major Mohamed Salah Benbicha, directeur des ressources humaines de l’armée algérienne, a ouvert toutes grandes les portes du juteux marché des équipements militaires à son fils, Adil, qui a fait fortune. Le tout, avec la complicité d’un autre haut gradé véreux: le général Ahmed Saoudi, qui occupe le poste stratégique de directeur central des installations militaires au ministère de la Défense. Le chef d’état-major lui-même, Saïd Chengriha, a permis à ses filles et à son fils, Chafik, de cumuler d’indus avantages. Sans aucune forme de reddition de comptes. 

Pire, l’économie algérienne, basée sur la rente pétrolière, est aujourd’hui au bord de l’asphyxie. Face à la chute des prix du baril de pétrole, conjuguée à une baisse de la production locale en hydrocarbures, la hausse de la consommation intérieure et le tarissement programmé des réserves de change, l’Etat n’a trouvé comme parades que des coupes budgétaires drastiques, une limitation des importations, et l’annulation pure et simple des investissements dédiés aux grands projets de développement. La planche à billets n’étant plus la panacée, le dinar étant dévalué à l’extrême, l’endettement est devenu inéluctable...

Il s’ensuit que la diplomatie algérienne est devenue atone et inaudible parce qu’elle a toujours misé sur la distribution corruptive des pétrodollars, une manne dont elle ne dispose plus, ou que très peu, aujourd’hui. L’unique Etat membre à l’Union africaine qui s’est opposé à la hausse des contributions des pays, dits «petits contributeurs», dont les cotisations annuelles sont passées de 150.000 à 500.000 dollars, est l’Algérie. Il ne faut pas être très clairvoyant pour comprendre pourquoi.

Il faut dire aussi que la diplomatie algérienne a été victime de la politique de la tromperie, que le régime algérien a choisi de déployer à travers la diffusion à grande échelle de fake news au service d’une propagande d’un autre âge, ressassée à l’envi et donc répulsive. 

Que penser, quand on entend un Abdelmadjid Tebboune affirmer, sans sourciller, que l’Algérie dispose de l’un des meilleurs systèmes de santé dans le monde et même le meilleur en Afrique, avant de le voir lui-même évacué d’urgence vers l’Allemagne entre la vie et la mort, après quelques heures seulement passées sur un lit du fleuron des hôpitaux militaires algériens, Aïn Naadja?

Et que dire, quand le même Tebboune n’hésite pas à déclarer publiquement que les produits agricoles algériens rapportent annuellement 25 milliards de dollars à l’Etat, alors que même les hydrocarbures, qui constituent 98% des exportations algériennes, peinent à dépasser en 2020 la somme de 10 milliards de dollars? 

Il est vrai que le département de Sabri Boukadoum, grand adepte de cette politique de la tromperie, est dépassé par le réalisme et le sens de l'initiative de la diplomatie marocaine, conduite par l’infatigable Nasser Bourita, qui donne corps à la vision du Roi Mohammed VI. Mais de là à pointer ce même Boukadoum comme le seul responsable du fiasco algérien, c’est se méprendre sur le fonctionnement de ce pays, et sur les réels centres de décisions, accaparés par les militaires ou partagés entre les généraux et le chef de l’Etat, quand il est debout, et mieux rompu aux rouages du pouvoir que ne l’est Abdelmadjid Tebboune. Désigner Sabri Boukadoum comme bouc émissaire d’une politique désastreuse à tous les étages ne trompera en fait personne.

Boukadoum a d'ailleurs déjà bien senti le coup venir. Samedi dernier, il a déclaré devant la presse qu’avec le retour de Tebboune, «l'Algérie va passer à la vitesse supérieure pour relever les différents défis extérieurs», avant de faire un clin d’œil aux généraux. «L'Algérie est un Etat fort, porteur d’une grande histoire de lutte contre le colonialisme, doté d’une armée forte et animé par une volonté à toute épreuve. Aussi, il ne faut pas craindre les défis», a-t-il déclaré, selon des propos rapportés par l’APS.

Mais, au vu du retour sur la scène militaro-politicienne du duo Khaled Nezzar (le fugitif), -Mohamed Mediène dit «Toufik» (qualifié au mois d’avril 2020 par sa famille de «détenu politique et d’opinion»), il est certain que Ramtane Lamamra, très apprécié par ces deux généraux, sera sollicité pour remplacer Sabri Boukadoum, qu'il a d'ailleurs lui-même installé à sa place aux Affaires étrangères.

Or, Ramtane Lamamra a les yeux plus gros que le ventre, pour accepter de faire du sur-place. En effet, après avoir lamentablement échoué à devenir émissaire onusien en Libye, il vise désormais plus haut, et s’active en coulisses afin de s’asseoir sur le fauteuil de Abdelmadjid Tebboune.

Par Mohammed Ould Boah
Le 04/01/2021 à 14h30