Décennie noire en Algérie: un rescapé des camps de la mort du DRS témoigne dans un livre

Mohamed Lamine Médiène, général-major, patron du Département du renseignement et de la sécurité depuis 1990, dit «Toufik».

Mohamed Lamine Médiène, général-major, patron du Département du renseignement et de la sécurité depuis 1990, dit «Toufik». . DR

Dans un livre intitulé «Printemps du terrorisme en Algérie… Témoignages et vérités sur les crimes horribles du DRS», Aomar Rami, ex-détenu durant la décennie noire, raconte son vécu macabre. Il confirme que les tortures et massacres collectifs ont été d’abord le fait des services secrets algériens pour maintenir les généraux au pouvoir.

Le 01/03/2022 à 10h44

Aomar Rami, un ancien militant pacifique du Front islamiste du salut (FIS), parti vainqueur des premières législatives multipartites de 1991 en Algérie, a été entraîné dans l’engrenage des violences qui ont suivi le coup d’Etat mené par les «ancien caporaux de l’armée française, devenus généraux, qui ont contraint à la démission, le général Chadli Bendjedid, promoteur du pluralisme en Algérie», écrit-il.

L'essai d’Aomar Rami, intitulé «Printemps du terrorisme en Algérie… Témoignages et vérités sur les crimes horribles du DRS», vient de paraître. Il risque de faire très mal aux promoteurs de la décennie noire qui s’est soldée par 250.000 morts selon les mots du président Tebboune. Ce livre tétanise la junte algérienne parce qu’il arrive quasiment au moment où la justice suisse a décidé de poursuivre le général à la retraite et ancien ministre de la Défense, Khaled Nezzar, pour «crime de guerre» et «crimes contre l’humanité».

Aomar a été arrêté pour son implication présumée dans les attentats à la bombe ayant visé simultanément, le 26 août 1992, l'aéroport Houari-Boumédiène (9 morts et 126 blessés) et les agences d'Air France et Swissair à Alger.

Sa mésaventure commence au tristement célèbre centre de détention des services secrets algériens, dit centre Antar (ou Abla). Relevant du ministère de la Défense, ce centre est situé à l’intérieur de la caserne militaire de Ben Aknoun à Alger. «Vu de l’extérieur, il donne l’impression d’une bâtisse normale, alors qu’à l’intérieur, à travers ses nombreux sous-sols aux cellules sombres et froides, des dizaines de milliers d’Algériens, surtout depuis 1988 et son printemps kabyle, y ont subi et subissent toujours, les tortures et exécutions les plus abjectes».

En ce qui concerne les protagonistes de cette tragédie des années 90, qui a fait au moins 250.000 morts, Aomar Rami a cité nommément les principaux instigateurs de ce bain de sang, à savoir les généraux Khaled Nezzar, Mohamed Médiène dit Toufik, Smail et Mohamed Lamari, Touati Mohamed, Saïd Chengriha (actuel chef de l’armée algérienne) et Abdelkader Mejahed.

En décrivant au menu détail les séances quotidiennes de tortures qu’il a subies, lui et ses codétenus (de 1992 à 1997), sous la main des bourreaux du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), tous les généraux précités sont accusés d’avoir réédité en Algérie «les pires pratiques nazies dans les camps d'Auschwitz, celles du général Franco durant la guerre civile en Espagne ainsi que celles des caudillos latino-américains du temps des dictatures militaires des généraux Augusto Pinochet au Chili et Jorge Rafael Videla en Argentine….».

D’ailleurs, écrit encore l’auteur, «les généraux de l’armée nationale populaire n’ont rien inventé, ils ont juste calqué à la lettre les méthodes barbares de leurs prédécesseurs français». Ce qui explique que les Algériens ont vite déchanté en croyant qu’ils sont sortis, en 1962, de la période coloniale, alors que «les mêmes pratiques sauvages et inhumaines du colonisateur ont été rééditées dans les années 90, et sont d’ailleurs toujours en cours, dans les centres de torture de l’armée algérienne». 

Il récuse ainsi la propagande selon laquelle le DRS est l’héritier du MALG (Ministère de l’armement et des liaisons générales, ou services des renseignements du FLN durant la guerre), pas plus que les généraux algériens ne sont les dignes héritiers de l’ALN, mais de l’Organisation de l’armée secrète (OAS) française et de ses généraux sanguinaires Jacques Massu et Raoul Salan.

En effet, brutalités physiques, sévices sexuels, urines et crachats sur le visage, mégots éteints en plein œil ou sur les parties intimes de prisonniers, privés de nourriture, d’habits et de sommeil… Ce sont là des pratiques courantes, pratiquées non-stop au centre de Antar, que l’auteur appelle «l’antre des diables».

Les bourreaux de service, tous cagoulés, sont en général d’ex-enfants de la rue ou des «enfants naturels» enrôlés dès leur tendre âge au sein de l’armée pour être entraînés à tuer et torturer, parfois sous l’effet des psychotropes, afin de «se venger de la société qui les a rejetés et défendre l’armée qui les a recueillis».

Les détenus de Ben Aknoun, malgré les sévices physiques qu’ils subissent quotidiennement en prison et les graves blessures qui s’ensuivent, n’ont pas droit aux soins médicaux. Sauf s’ils doivent être présentés devant le procureur. Là, une trêve de 10 à 15 jours dans la torture leur est accordée, en plus de rations plus importantes en nourriture pour leur redonner vie.

C’est cette justice aux ordres qui permet, à travers ses condamnations expéditives, prononcées par des juges eux aussi cagoulés, de désengorger la prison de Ben Aknoun. Par milliers, les prisonniers sont en général transférés vers d’autres pénitenciers où ils continuent à subir les mêmes sévices, comme les bagnes de Barberousse (prison de la Casbah d’Alger où le colon français guillotinait les condamnés à mort), Lambese (prison de Batna) ou Chlef (prison d’Orléansville sous la colonisation française), d’où les prisonniers ressortent rarement vivants.

A partir des enquêtes que Aomar Rami a menées en discutant avec des centaines de codétenus qu’il a côtoyés, puis à sa sortie de prison où il est allé à la rencontre de certains maquisards du FIS, il a établi certaines vérités choquantes.

Il en est ainsi des fausse libérations ou fuites des prisonniers. Certains prisonniers ne sont libérés que pour être liquidés, comme ce fut le cas pour un certain Mohamed Metlou, ami et ancien chauffeur du chef du FIS, Abassi Madani, libéré par un procureur sous prétexte que c’est un ancien Moudjahid, et assassiné par le DRS dans la semaine qui suit sa relaxe.

Une tactique qu’il dit être chère au général Toufik, qui a aussi l’habitude d’ordonner: «les prisonniers qui n’ont pas été condamnés à mort par la justice, faites-les sortir en catimini et tuez-les à quelques encablures de la prison en arguant qu’ils ont tenté une évasion collective après agression contre les gardiens de la prison». Des milliers de prisonniers ont été tués de la sorte.

En plus des faux barrages sur les routes où les «terroristes» du DRS sont incités à s’attaquer à des convois militaires, pour berner l’opinion internationale et terroriser les Algériens, il y a aussi le phénomène de «L’Etat de la Nuit» (Dawlat Elleil). C’est le nom que se donnaient elles-mêmes les «brigades de la mort» relevant du DRS, qui se présentent chez des familles en pleine nuit sous forme de terroristes barbus, habillés en djellabas, portant des espadrilles et armés de kalachnikov. Les personnes qu’ils emmènent avec eux sont en général des jeunes fichés comme sympathisant du FIS ou de simples opposants politiques non islamistes. Ces derniers sont retrouvés égorgés et jetés le lendemain au bord d’une route rurale.

L'auteur en conclut que «tous les groupes armés qui semaient la mort dans les villes et villages algériens ont été directement mis sur pied par les services secrets de l’Etat. Ces bandes criminelles coordonnaient avec la police et la gendarmerie avec la bénédiction et la protection du DRS». Ce qui fait que «tout le monde a fini par comprendre aujourd’hui que le temple de Ben Aknoun du ministère de la Défense est un repaire qui abrite les plus grands sadiques de l’Algérie, qui ont fait couler à flots le sang de leur peuple et souillé durablement l’image de l’armée algérienne, écrivant ainsi la page la plus sombre de l’histoire de l’Algérie», explique Aomar Rami.

Par Mohammed Ould Boah
Le 01/03/2022 à 10h44