Purges en Arabie Saoudite: le pari à haut risque de MBS, le prince héritier

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Avec sa purge sans précédent, le prince héritier d'Arabie saoudite fait preuve d'audace mais bouscule un vieux système de gouvernance consensuelle au sommet du royaume ultra-conservateur, avant son accession éventuelle au trône.

Le 06/11/2017 à 18h36

Des dizaines de personnalités du monde politique et des affaires, dont le prince et milliardaire Al-Walid ben Talal, ont été arrêtées ce week-end dans ce que les autorités saoudiennes ont présenté comme une vaste purge anticorruption. Des membres de la famille royale, tels que le chef de la Garde nationale, ont été limogés.

L'opération coup de poing intervient au moment où le prince Mohammed, 32 ans, fils du roi Salmane (81 ans) et connu sous ses initiales "MBS", ne cesse de consolider son pouvoir au milieu de changements économiques et sociaux inédits.

"La structure de la règle dynastique établie lors des dernières décennies est en train de se transformer en un système monarchique plus centralisé", souligne Jane Kinninmont, du centre de réflexion Chatham House, basé à Londres. "MBS chamboule le modèle du gouvernement saoudien", affirme-t-elle à l'AFP.

Les autorités saoudiennes ont salué cette opération choc comme une initiative audacieuse pour éradiquer la corruption. Mais, pour les analystes, le but de cette purge pourrait avant tout être de dégager la voie au prince héritier, en éliminant toute opposition à son projet de réforme et à sa succession. "Les licenciements et les arrestations suggèrent que le prince Mohammed, plutôt que de forger des alliances, étend son emprise pour (...) contrer l'opposition", affirme l'analyste James Dorsey, de la S. Rajaratnam School of International Studies à Singapour.

"Cela soulève des questions sur le processus de réformes, qui repose de plus en plus sur une réécriture unilatérale plutôt que consensuelle du contrat social du royaume."

Les partisans du prince Mohammed le considèrent comme un perturbateur éclairé de l'ordre établi, lui qui poursuit des réformes sociales et économiques pour moderniser le royaume et diversifier ses ressources.

Sa campagne anticorruption intervient en outre après d'autres mesures fortes, notamment un décret autorisant les femmes à conduire à partir de juin 2018 et restreignant les pouvoirs de la police religieuse. "Cette purge anticorruption vise des personnalités qui étaient considérées comme potentiellement opposées aux différents projets de MBS", relève Kinninmont.

Mais, alors que le royaume cherche à attirer les investissements après la crise pétrolière, la démarche pourrait entamer la confiance des investisseurs étrangers, des entreprises locales et, in fine, en l'économie nationale, préviennent des experts. Elle pourrait par conséquent menacer le plan de réformes "Vision 2030" du prince héritier.

Parmi les personnalités arrêtées figurent ainsi Walid al-Ibrahim, propriétaire de l'influent réseau satellite arabe MBC, le magnat de la construction Bakr Ben Laden et le milliardaire Saleh Kamal. Ces arrestations pourraient à court terme avoir un impact négatif sur l'économie, confirme le cabinet Capital Economics.

Avec l'arrestation du prince Al-Walid, qui a investi des milliards à l'international, la purge pourrait effrayer le secteur privé et "intensifier la fuite des capitaux", avertissent aussi les experts de Mirabaud Securities Genève.

Sur les réseaux sociaux, les comptes officiels du gouvernement ont rediffusé une interview du prince Mohammed vieille de plusieurs mois, dans laquelle il assurait que ni les ministres ni les personnalités des affaires ne seraient épargnés s'ils étaient reconnus coupables de corruption.

A présent, une grande partie des Saoudiens s'interrogent sur la culture du privilège qui prévalait au sein de l'ancienne génération de la famille royale. "Il s'agit de remodeler le comportement des élites en choisissant des symboles forts. Le message est que le nettoyage de la maison commence au sommet", a argué sur Twitter Ali Shihabi, directeur de la Arabia Foundation basée à Washington, réputée proche de l'establishment.

Les experts mettent toutefois en garde contre un retour de bâton, d'autant que "MBS" cherche à renforcer son emprise sur les services de sécurité.

Il a évincé de la puissante Garde nationale le prince Metab ben Abdallah, fils du défunt roi Abdallah, âgé de 64 ans et un temps considéré comme prétendant au trône. En juin, il a aussi obtenu le départ du ministère de l'Intérieur de l'ancien prince héritier Mohammed ben Nayef.

"Des changements aussi spectaculaires vont forcément rencontrer une résistance", prévient Kinninmont. "Les moyens d'exprimer la critique ou l'opposition étant limités en Arabie saoudite, on se demande inévitablement si l'opposition couve en coulisses".

Le 06/11/2017 à 18h36