Tariq Ramadan, la chute d’une star

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun. . DR

ChroniqueEst-ce la fin de Ramadan ou le début d’une carrière de martyr? Je refuse l’idée d’un «complot sioniste ou autre» comme le prétendent certains militants très actifs dans les réseaux sociaux et je me réfère à son idée horrible du «moratoire». Cela me suffit pour n’avoir aucune estime pour cet homme.

Le 13/11/2017 à 11h59

L’affaire Tariq Ramadan fait beaucoup de bruit. J’ai constaté que dans certains milieux, au lieu de se poser des questions en attendant que la justice dise son mot concernant les accusations de viol et de harcèlement sexuel, on sort du placard l’éternel complot, pneu de secours quand la raison est en panne ou s’endort. Cela rappelle l’affaire (toujours en cours) du chanteur Saâd Lamjarred. Ses fans sont dans leur majorité persuadés qu’il a été victime d’un complot basé sur la jalousie et l’envie.

Il faut qu’on cesse de convoquer cette idée que nos malheurs sont concoctés par des ennemis obscurs nous lançant des pièges dans lesquels nous tombons les yeux fermés.

L’intellectuel suisse est une star médiatique. Il a du charisme, sait s’adresser au grand public, séduit les hésitants, les sceptiques et trace son chemin vers plus de lumière et plus de suiveurs, notamment sur les réseaux sociaux. Des femmes ont été probablement amoureuses de lui ou de son image ou de ce qu’il représente. Certaines l’ont fréquenté, d’autres avouent avoir cédé à ses appels. Elles ont dû découvrir qu’entre l’homme public et l’homme privé, il y avait quelque différence. Qu’importe. Aujourd’hui les deux visages du même homme se confondent dans la presse.

Les musulmans n’ont pas bonne presse. Quand apparaît un homme qui sait parler et débattre, on en fait une star même si on n’est pas d’accord avec tout ce qu’il dit.

Être une star implique quelques dérives souvent involontaires. Que ce soit dans le domaine du cinéma ou de la musique, briller sous les projecteurs n’est pas simple ni grandiose.

Je connais très peu Tariq Ramadan. Je l’ai rencontré sur des plateaux de télévision, mais je n’ai jamais débattu avec lui. Je me suis toujours méfié de son système brillant, tenant tête à des débatteurs de qualité. En même temps, il ne m’a jamais tout à fait convaincu, car je le sens capable de défendre le contraire de ses idées devant un autre public et sous d’autres cieux. Autrement dit, il tient le discours qui convient au public dont il repère très vite la sensibilité et les tendances. C’est un showman, un politique. J’ai lu certains de ses ouvrages, je suis souvent resté médusé et prudent. J’ai toujours pensé qu’il a été le meilleur défenseur des idées de la secte des Frères Musulmans. Au fond, c’est un intégriste qui cache bien son jeu. Donc, il est dangereux. La preuve, c’est lui qui nous la livre. Le 19 novembre 2003, il est à la télévision française face à Nicolas Sarkozy qui lui demande de prendre des positions claires sur les châtiments corporels dans le monde musulman. Tariq Ramadan, décontenancé, dit «préconiser l’instauration d’un "moratoire" sur les châtiments corporels, la lapidation des femmes adultères et la peine de mort dans le monde musulman».

À partir de ce jour, le masque du brillant islamologue est tombé. On ne le prend plus au sérieux. Les médias français l’ont boycotté.

Je ne peux pas me prononcer sur les accusations dont il est l’objet en ce moment. Je ne connais pas sa vie privée, ses habitudes, ses attirances et encore moins son comportement en privé. Comme on dit, laissons la justice faire son travail.

Pour toutes ces raisons, je refuse l’idée d’un «complot sioniste ou autre» comme le prétendent certains militants très actifs dans les réseaux sociaux et je me réfère à son idée horrible du «moratoire». Cela me suffit pour n’avoir aucune estime pour cet homme.

Si des femmes ont senti le besoin de parler de leurs relations avec ce playboy de l’islamisme, c’est que Hollywood a sonné le glas pour le harcèlement sexuel exercé par des gens de pouvoir sur des actrices ou acteurs en demande de travail. Tout ce que fait l’Amérique est exagéré. Non seulement la série House of Cards, où Kevin Spacey tient le rôle principal, a été suspendue, mais Ridley Scott serait en train d’effacer les scènes où apparaît cet acteur dans son dernier film.

Tariq Ramadan subit les mêmes revers. Oxford vient de suspendre ses cours, sans attendre le verdict de la justice. L’Obs le met à la Une avec un titre accrocheur «Enquête sur la chute d’un gourou». Des femmes témoignent. Certaines affirment avoir des preuves avec des certificats médicaux. En Suisse, il est aussi dénoncé comme ayant eu des relations avec des mineures. Le dossier Ramadan s’épaissit de jour en jour.

Est-ce la fin de Ramadan ou le début d’une carrière de martyr? En attendant que la justice française et suisse se prononce, il reste la cible de tous les phantasmes. Et l’islam dans tout ça? Il a bon dos. Quant aux musulmans paisibles, ils ne se sentent aucunement concernés par cette affaire qui dégage une bien mauvaise odeur.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 13/11/2017 à 11h59